Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clairement, je désespère de le voir jamais. Il est le seul, à mon avis, qui ne suppose point ce qui est en question. Malebranche commence par établir le péché originel, et part de là pour la moitié de son ouvrage ; il suppose que nos sens sont toujours trompeurs, et de là il part pour l’autre moitié.

Clarke, dans son second chapitre de l’existence de Dieu, croit avoir démontré que la matière n’existe point nécessairement, et cela, par ce seul argument que, si le tout existait de nécessité, chaque partie existerait de la même nécessité. Il nie la mineure ; et, cela fait, il croit avoir tout prouvé ; mais j’ai le malheur, après l’avoir lu bien attentivement, de rester sur ce point sans conviction. Mandez-moi, je vous prie, si ses preuves ont eu plus d’effet sur vous que sur moi.

Il me souvient que vous m’écrivîtes, il y a quelque temps, que Locke était le premier qui eût hasardé de dire que Dieu pouvait communiquer la pensée à la matière. Hobbes l’avait dit avant lui, et j’ai idée qu’il y a, dans le De Natura deorum, quelque chose qui ressemble à cela.

Plus je tourne et je retourne cette idée, plus elle me paraît vraie. Il serait absurde d’assurer que la matière pense, mais il serait également absurde d’assurer qu’il est impossible qu’elle pense. Car, pour soutenir l’une ou l’autre de ces assertions, il faudrait connaître l’essence de la matière, et nous sommes bien loin d’en imaginer les vraies propriétés. De plus, cette idée est aussi conforme que toute autre au système du christianisme, l’immortalité pouvant être attachée tout aussi bien à la matière, que nous ne connaissons pas, qu’à l’esprit, que nous connaissons encore moins.

Les Lettres philosophiques, politiques, critiques, poétiques, hérétiques, et diaboliques, se vendent en anglais, à Londres, avec un grand succès. Mais les Anglais sont des papefigues maudits de Dieu, qui sont tous faits pour approuver l’ouvrage du démon. J’ai bien peur que l’Église gallicane ne soit un peu plus difficile. Jore m’a promis une fidélité à toute épreuve. Je ne sais pas encore s’il n’a pas fait quelque petite brèche à sa vertu. On le soupçonne fort, à Paris, d’avoir débité quelques exemplaires. Il a eu sur cela une petite conversation avec M. Hérault, et, par un miracle plus grand que tous ceux de saint Paris et des apôtres, il n’est point à la Bastille, Il faut bien pourtant qu’il s’attende à y être un jour. Il me paraît qu’il a une vocation déterminée pour ce beau séjour. Je tâcherai de n’avoir pas l’honneur de l’y accompagner.