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l’abbé Linant de vaincre sa paresse, pour vous dire des choses bien tendres, en son nom et au mien. S’il vous a écrit, je n’ai plus rien à ajouter, car personne ne connaît mieux que lui combien je vous aime, et n’est plus capable de le dire comme il faut.

Je ne change rien du tout a mes dispositions avec Jore, et j’insiste plus que jamais pour avoir les cent exemplaires dont il faut que je donne cinquante, qui seront répandus à propos. Je lui répète encore qu’il faut qu’il ne fasse rien sans un consentement précis de ma part ; que, s’il précipite la vente, lui et toute sa famille seront indubitablement à la Bastille ; que, s’il ne garde pas le secret le plus profond, il est perdu sans ressource. Encore une fois, il faut supprimer tous les vestiges de cette affaire. Il faut que mon nom ne soit jamais prononcé, et que tous les livres soient en séquestre, jusqu’au moment où je dirai : Partez.

Je vous supplie même de vous servir de la supériorité que vous avez sur lui pour l’engager à m’écrire cette lettre sans date :

« Monsieur, j’ai reçu la vôtre, par laquelle vous me priez de ne point imprimer et d’empêcher qu’on imprime, à Rouen, les Lettres qui courent à Londres sous votre nom. Je vous promets de faire sur cela ce que vous désirez. Il y a longtemps que j’ai pris la résolution de ne rien imprimer sans permission, et je ne voudrais pas commencer à manquer à mon devoir pour vous désobliger. Je suis, etc. »

Vous jugez bien, mon cher ami, qu’il faut, outre cette lettre, le billet au sieur de Sanderson ; lequel je remettrai dans les mains d’un Anglais, pour le représenter, en cas que Jore pût être accusé d’avoir reçu ces Lettres de moi ou de quelqu’un de mes amis.

Toutes ces démarches me paraissent entièrement nécessaires, et empêcheront que vous ne puissiez être commis en rien. Ce n’est pas que vous puissiez jamais avoir rien à craindre. Vous sentez bien que, dans le cas le plus rigoureux qu’on puisse imaginer, la moindre éclaboussure ne pourrait aller jusqu’à vous ; mais je veux en être encore plus sûr, et il me semble que Jore, ayant donné sa déclaration qu’il a reçu ces Lettres d’un Anglais, ne pourra jamais dire dans aucun cas : « C’est M. de Cideville qui m’a encouragé. »

Je suis en train de vous parler d’affaires ; mon amitié ne craint rien avec vous. Me voici tenant maison, me meublant, et m’arrangeant, non-seulement pour mener une vie douce, mais pour en partager les petits agréments avec quelques gens de