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ment comme nous parlons, en France, de celui des Turcs. Les Anglais pensent qu’on met à la Bastille la moitié de la nation fançaise ; qu’on met le reste à la besace, et tous les auteurs un peu hardis, au pilori. Cela n’est pas tout à fait vrai ; du moins je crois n’avoir rien à craindre. M. l’abbé de Rothelin, qui m’aime, que j’ai consulté, et qui est assurément aussi difficile qu’un autre, m’a dit qu’il donnerait, même dans ce temps-ci, son approbation à toutes les Lettres, excepté seulement celle sur M. Locke ; et je vous avoue que je ne comprends pas cette exception ; mais les théologiens en savent plus que moi, et il faut les croire sur leur parole.

Je ne me rétracte point sur nosseigneurs les évêques ; s’ils ont leur voix au parlement, aussi ont nos pairs. Il y a bien de la différence entre avoir sa voix et du crédit. Je croirai de plus, toute ma vie, que saint Pierre et saint Jacques n’ont jamais été comtes et barons.

Vous me dites que le docteur Clarke n’a pas été soupçonné de vouloir faire une nouvelle secte. Il en a été convaincu, et la secte subsiste, quoique le troupeau soit petit. Le docteur Clarke ne chantait jamais le Credo d’Athanase.

J’ai vu dans quelques écrivains que le chancelier Bacon confessa tout, qu’il avoua même qu’il avait reçu une bourse des mains d’une femme ; mais j’aime mieux rapporter le bon mot de milord Bolingbroke que de circonstancier l’infamie du chancelier Bacon.

Farewell ; I have forgot this way to speak english with you ; but, whatever may be my language, my heart is yours for ever[1].}}


314. — Á M. DE CIDEVILLE.
À Paris, 25 février.

Pourquoi faut-il que je sois si indigne de vos charmantes agaceries ? Pourquoi ai-je perdu tant de temps sans vous écrire ? Pourquoi ne réponds-je qu’en prose à vos aimables vers ? Que de reproches je me fais, mon cher ami ! Mais aussi il faut un peu se justifier. Je passe la moitié de ma vie à souffrir, et l’autre à travailler pour vous. Croiriez-vous bien que cette petite chapelle du Goût, que je vous ai envoyée bâtie de boue et de crachat, est devenue petit à petit un Temple immense ? J’en ai travaillé avec

  1. « Adieu ; j’ai oublié ici de vous parler anglais : mais, quel que soit mon langage, mon cœur est à vous pour toujours. »