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295. — Á M. DE CIDEVILLE.
15 décembre.

Vous daignez vous abaisser à revoir des éditions, vous qui êtes fait assurément plutôt pour diriger des auteurs que des libraires. En vous remerciant, pour ma part, du soin que vous avez la bonté de prendre pour Zaïre. Si vous me passez sa conversion, j’ai l’amour-propre d’espérer que vous ne serez pas tout à fait mécontent du reste. Il me semble qu’on voit assez, dans la première scène, qu’elle serait chrétienne si elle n’aimait pas Orosmane. Fatime, Nérestan, et la croix, avaient déjà fait quelque impression sur son cœur. Son père, son frère, et la grâce, achèvent cette affaire, au second acte. La grâce surtout ne doit point effaroucher : c’est un être poétique et à qui l’illusion est attachée depuis longtemps. Pour le style, il ne faut pas s’attendre à celui de la Henriade. Une loure ne se joue point sur le ton de la Descente de Mars.

Me dulcis dominœ musa Licyanniæ
Cantus, me voluit dicere lucidum
Fulgentes oculos, et bene mutuis
Fidum pectus amoribus.

(Hor., liv. II, od. xii, v. 13.)

Il a fallu, ce me semble, répandre de la mollesse et de la facilité dans une pièce qui roule tout entière sur le sentiment. Qu′il mourût serait détestable dans Zaïre ; et Zaïre, vous pleurez, serait impertinent dans Horace. Suus unicuique locus est[1]. Ne me reprochez donc point de détendre un peu les cordes de ma lyre ; les sons en eussent paru aigres si j’avais voulu les rendre forts, en cette occasion.

Je compte vous envoyer incessamment une copie manuscrite de toutes mes Lettres[2] à Thieriot sur la religion, le gouvernement, la philosophie, et la poésie des Anglais. Il y a quatre Lettres sur M. Newton, dans lesquelles je débrouille, autant que je le peux, et pas plus qu’il ne le faut pour des Français, le système et même

  1. ....Est locus uni
    cuique suus.

    (Hor., I, sat. ix, 51-52.)
  2. Les Lettres philosophiques : voyez tome XXII ; les 14e, 15e, 16e, et 17e sont consacrées à Newton.