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noble est tout ce qui me reste ; je viens me remettre dans tes fers. » Le Soudan, satisfait du grand courage de ce chrétien, et né pour être plus généreux encore, lui rendit toutes les rançons qu’il apportait, lui donna cent chevaliers au lieu de dix, et le combla de présents ; mais il lui fit entendre que Zaïre n’était pas faite pour être rachetée, et qu’elle était d’un prix au-dessus de toutes rançons. Il refusa aussi de lui rendre, parmi les chevaliers qu’il délivrait, un prince de Lusignan, fait esclave depuis longtemps dans Césarée.

Ce Lusignan, le dernier de la branche des rois de Jérusalem, était un vieillard respecté dans l’Orient, l’amour de tous les chrétiens, et dont le nom seul pouvait être dangereux aux Sarrasins. C’était lui principalement que Nérestan avait voulu racheter ; il parut devant Orosmane, accablé du refus qu’on lui faisait de Lusignan et de Zaïre ; le soudan remarqua ce trouble : il sentait dès ce moment un commencement de jalousie que la générosité de son caractère lui fit étouffer ; cependant il ordonna que les cent chevaliers fussent prêts à partir le lendemain avec Nérestan.

Zaïre, sur le point d’être sultane, voulut donner au moins à Nérestan une preuve de sa reconnaissance : elle se jette aux pieds d’Orosmane pour obtenir la liberté du vieux Lusignan. Orosmane ne pouvait rien refuser à Zaïre ; on alla tirer Lusignan des fers. Les chrétiens délivrés étaient avec Nérestan dans les appartements extérieurs du sérail ; ils pleuraient la destinée de Lusignan : surtout le chevalier de Chàtillon, ami tendre de ce malheureux prince, ne pouvait se résoudre à accepter une liberté qu’on refusait à son ami et à son maître, lorsque Zaïre arrive, et leur amène celui qu’ils n’espéraient plus.

Lusignan, ébloui de la lumière qu’il revoyait après vingt années de prison, pouvant se soutenir à peine, ne sachant où il est, et où on le conduit, voyant enfin qu’il était avec des Français, et reconnaissant Chàtillon, s’abandonne à cette joie mêlée d’amertume que les malheureux éprouvent dans leur consolation. Il demande à qui il doit sa délivrance. Zaïre prend la parole en lui présentant Nérestan : « C’est à ce jeune Français, dit-elle[1], que vous, et tous les chrétiens, devez votre liberté. » Alors le vieillard apprend que Nérestan a été élevé dans le sérail avec Zaïre, et, se tournant vers eux : « Hélas ! dit-il, puisque vous avez pitié de mes malheurs, achevez votre ouvrage ; instruisez-moi du sort de mes enfants. Deux me furent enlevés au berceau,

  1. Acte II, scène iii.