Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il faut ; imaginez-vous qu’Orosmane n’a plus le billet entre les mains, et l’a déjà fait donner à un esclave, quand il se trouve avec Zaïre à qui il a toujours envie de tout montrer. Croyez qu’il y a bien des vers corrigés, et que, si je n’étais pas aussi pressé que je le suis, vous auriez de moi des lettres de dix pages. V.


276. — Á M. DE CIDEVILLE.
21 août.

Je reçois, dans l’instant, votre lettre, mon cher Cideville ; mille remerciements, mille tendres compliments à Formont et à nos amis.

Je n’ai qu’un instant pour corriger des vers de Zaïre, pour vous assurer que je vous aime, et pour vous redemander Zaire par le coche. V.


277. — Á M. DE LA ROQUE[1].

Quoique pour l’ordinaire vous vouliez bien prendre la peine, monsieur, de faire les extraits des pièces nouvelles, cependant vous me privez de cet avantage, et vous voulez que ce soit moi qui parle de Zaïre. Il me semble que je vois M. Le Normand ou M. Cochin[2] réduire un de leurs clients à plaider sa cause. L’entreprise est dangereuse ; mais je vais mériter au moins la confiance que vous avez en moi, par la sincérité avec laquelle je m’expliquerai.

Zaïre est la première pièce de théâtre dans laquelle j’aie osé m’abandonner à toute la sensibilité de mon cœur ; c’est la seule tragédie tendre que j’aie faite. Je croyais, dans l’âge même des passions les plus vives, que l’amour n’était point fait pour le théâtre tragique. Je ne regardais cette faiblesse que comme un défaut charmant qui avilissait l’art des Sophocle. Les connaisseurs qui se plaisent plus à la douceur élégante de Racine qu’à la force de Corneille me paraissaient ressembler aux curieux qui préfèrent les nudités du Corrège au chaste et noble pinceau de Raphaël.

Le public qui fréquente les spectacles est aujourd’hui plus que jamais dans le goût du Corrège. Il faut de la tendresse et du sentiment : c’est même ce que les acteurs jouent le mieux.


  1. Cette lettre, mise jusqu’à ce jour en tête de Zaïre, a été imprimée dans le Mercure d’août 1732, pages 1828-43. Antoine de La Roque, né en 1672, mort à Paris le 3 octobre 1744, avait obtenu le privilège du Mercure en 1721. (B.)
  2. Deux fameux avocats.