Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.
204
CORRESPONDANCE.

 
Donc quand voudrez, par Phébus inspiré,
Me défier aux combats d’harmonie,
Pour que je sois contre vous préparé,
Renvoyez-moi, s’il vous plaît, mon génie.

Adieu ; comptez toujours sur la plus tendre amitié de l’hypocondre V.



207. — À M. DE CIDEVILLE.
(à vous seul.)

Paris, 30 janvier.

Vous m’avez toujours un peu aimé, mon cher Cideville : il s’agit de me procurer le moyen de vivre avec vous quelque temps, en bonne fortune. Je voudrais faire imprimer à Rouen une Histoire de Charles XII, roi de Suéde, de ma façon. C’est mon ouvrage favori, et celui pour qui je me sens des entrailles de père. Si je pouvais trouver un endroit où je demeurasse incognito dans Rouen, et un imprimeur qui se chargeât de l’ouvrage, je partirais dès que j’aurais reçu votre réponse.

Il y a deux manières de s’y prendre pour faire imprimer cette histoire : la première, c’est d’en montrer un exemplaire à monsieur le premier président[1], qui donnerait une permission tacite ; la seconde, d’avoir un de ces imprimeurs[2] qui font tout sans permission.

Dans le premier cas, on pourrait peut-être craindre que le premier président ne fît quelques difficultés de laisser imprimer ici un ouvrage dont on a suspendu l’impression à Paris, par ordre du garde des sceaux.

Dans le second cas, il y aurait à craindre d’être découvert. Il est bien triste pour la littérature d’être dans ces transes et dans ces extrémités, au sujet de presque tous les livres écrits avec un peu de liberté. La seule chose qui me rassure, c’est que, n’ayant mis dans mon ouvrage que de ces vérités qu’un magistrat et un citoyen doivent approuver, je pourrais aisément compter sur la connivence du premier président, en cas que la chose lui fût bien recommandée. Mais tout cela exigerait un profond secret ;

  1. Geoffroi-Macé Camus de Pontcarré, né en 1698, nommé premier président du parlement de Rouen en décembre 1726, mort à Paris le 8 janvier 1767. Voltaire lui écrivit quelques lettres qui n’ont pas été recueillies.
  2. Cideville lui indiqua Jore : et l’on voit, dans la correspondance de 1734 et de 1735, combien Voltaire eut à se plaindre de celui-ci, relativement à la publication des Lettres philosophiques.