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CORRESPONDANCE.

joindrai à cette édition un Essai sur la Poésie épique, qui ne sera point la traduction d’un embryon anglais[1] mal formé, mais un ouvrage complet et très-curieux pour ceux qui, quoique nés en France, veulent avoir une idée du goût des autres nations. Vous me mandez que des dévots, gens de mauvaise foi ou de très peu de sens, ont trouvé à redire que j’aie osé, dans un poème qui n’est point un colifichet de roman, peindre Dieu comme un être plein de bonté et indulgent aux sottises de l’espèce humaine. Ces faquins-là feront tant qu’il leur plaira de Dieu un tyran, je ne le regarderai pas moins comme aussi bon et aussi sage que ces messieurs sont sots et méchants.

Je me flatte que vous êtes, pour le présent, avec votre frère. Je ne crois pas que vous suiviez le commerce comme lui ; mais, si vous le pouviez faire, j’en serais fort aise : car il vaut mieux être maître d’une boutique que dépendant dans une grande maison. Instruisez-moi un peu de l’état de vos affaires, et écrivez-moi, je vous en prie, plus souvent que je ne vous écris. Je vis dans une retraite dont je n’ai rien à vous mander, au lieu que vous êtes dans Paris, où vous voyez tous les jours des folies nouvelles, qui peuvent encore réjouir votre pauvre ami, assez malheureux pour n’en plus faire.

Je voudrais bien savoir où est Mme de Bernières, et ce que fait le chevalier anglais des Alleurs ; mais, surtout, parlez-moi de vous, à qui je m’intéresserai toute ma vie avec toute la tendresse d’un homme qui ne trouve rien au monde de si doux que de vous aimer.



181. — AU P. PORÉE.

À Paris, rue de Vaugirard, près de la porte Saint-Michel[2].

Si vous vous souvenez encore, mon révérend père, d’un homme qui se souviendra de vous toute sa vie avec la plus tendre reconnaissance et la plus parfaite estime, recevez cet ouvrage avec quelque indulgence, et regardez-moi comme un fils qui vient, après plusieurs années, présenter à son père le fruit de ses travaux dans un art qu’il a appris autrefois de lui. Vous verrez par la préface quel a été le sort de cet ouvrage, et j’apprendrai, par votre décision, quel est celui qu’il mérite. Je n’ose en-

  1. Voyez cet Essai sur la Poésie épique, dans le tome VIII.
  2. Luchet, dans son Histoire littéraire de Voltaire, tome VI, page 34, date cette lettre de 1729. Le rédacteur de l’Année littéraire, en la publiant en 1769, tome VII, page 141, dit qu’il la croit de 1728. (B.)