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CORRESPONDANCE.



171. — À M. SWIFT.

1727.

Monsieur, l’autre jour j’envoyai une cargaison de sottises françaises au vice-roi. Milady Bolingbroke s’est chargée de vous procurer un exemplaire de la Henriade : elle souhaite de faire cet honneur à mon ouvrage, et j’espère que le mérite de vous être présenté par ses mains lui servira de recommandation. Cependant si elle ne l’a pas fait encore, je vous prie d’en prendre un dans la cargaison qui se trouve à présent dans le palais du vice-roi.

Je vous souhaite l’ouïe bonne. Dès que vous l’aurez, rien ne vous manquera. Je n’ai point vu M. Pope cet hiver, mais j’ai vu le troisième volume des Miscellanea, et plus je lis vos ouvrages, plus j’ai honte des miens.

Je suis avec respect, estime, et la plus parfaite reconnaissance, votre, etc.



172. — À M. SWIFT.

Vendredi 16[1].

Monsieur, je vous envoie ci-joint deux lettres, l’une de M. de Morville[2], secrétaire d’État, et l’autre pour M. des Maisons, désirant et dignes tous les deux de faire votre connaissance. Ayez la bonté de me faire savoir si vous avez dessein de prendre la route de Calais ou celle de Rouen. Si vous prenez la résolution de passer par Rouen, je vous donnerai des lettres pour une bonne dame

    mauvais livres étant de n’être jamais réimprimés. Ainsi, j’ai passé près de quinze jours à le chercher jusqu’à ce qu’enfin j’aie eu le malheur de le trouver.

    J’espère que vous ne lirez pas jusqu’au bout ce sot et absurde roman, quoiqu’en vérité vous méritiez de le lire, pour vous punir de la peine que vous m’avez donnée de le chercher, de l’ennui que j’ai eu de lire quelques morceaux de cet ouvrage ridicule et insensé, enfin de votre admirable facilité à croire les gens qui vous ont donné une si grande opinion d’une pareille pauvreté.

    Vous trouverez dans le même paquet le second volume de Monsieur Gulliver, qu’en passant je ne vous conseille pas de traduire. Le premier volume saisit vivement ; le second est outré. L’esprit du lecteur est charmé d’abord, et agréablement captivé par le spectacle nouveau des pays que Gulliver lui découvre ; mais cette suite non interrompue d’imaginations folles, de rêves, de contes de fées, d’inventions extravagantes, finit par rassasier. Rien de surnaturel ne plaît longtemps : c’est pour cela qu’ordinairement la seconde partie des romans parait insipide.

    Adieu ; mes compliments à ceux qui se souviennent de moi, mais je compte que je suis tout à fait oublié ici.

    *. Ouvrage traduit de Taralie. Thioriot préparait toujours un travail sur Mahomet. (G. A.)

  1. Je crois cette lettre du 16 avril. (B.)
  2. Nous croyons qu’il faut lire : pour M. de Morville.