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ANNÉE 1725.

Tout le monde dit dans Paris que je suis dévot et brouillé avec vous, et cela parce que je ne suis point à la Rivière, et que je suis souvent chez la femme au miracle[1] du faubourg Saint-Antoine. Le vrai pourtant est que je vous aime de tout mon cœur, comme vous m’aimiez autrefois, et que je n’aime Dieu que très-médiocrement, dont je suis très-honteux.

Je ne sais point du tout si M. de Bernières ira vous voir, et vous savez si j’y dois aller. Mandez-moi ce que vous souhaitez : ce sont vos intentions qui règlent mes désirs. Adieu ; soit à la Rivière, soit à Paris, je vous suis attaché pour toujours, avec la tendresse la plus vive.



145. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

2 juillet.

Me voici donc prisonnier dans le camp ennemi, faute d’avoir de quoi payer ma rançon pour aller à la Rivière, que j’avais appelée ma patrie. En vérité je ne m’attendais pas que jamais votre amitié pût souffrir que l’on mît de pareilles conditions dans le commerce. J’arrive de Maisons, où j’ai enfin la hardiesse de retourner. Je comptais de là aller à la Rivière, et passer le mois de Juillet avec vous. Je me faisais un plaisir d’aller jouir auprès de vous de la santé qui m’est enfin rendue. Vous ne m’avez vu que malade et languissant. J’étais honteux de ne vous avoir donné jusqu’à présent que des jours si tristes, et je me hâtais de vous aller offrir les prémices de ma santé. J’ai retrouvé ma gaieté, et je vous l’apportais ; vous l’auriez augmentée encore. Je me figurais que j’allais passer des journées délicieuses. M. de Bernières même pourrait bien ne pas venir à la Rivière sitôt. En vérité, je suis plus fait pour vivre avec vous que lui, et surtout à la campagne ; mais la fortune arrange les choses tout de travers. Je ne veux pourtant pas que notre amitié dépende d’elle : pour moi, il me semble que je vous aimerai de tout mon cœur, malgré toutes les guenilles qui nous séparent, et malgré vous-même. J’apprends, en arrivant à Paris, que d’Entragues[2] vient de s’enfuir en Hollande ; c’est une affaire bien singulière, et qui fait bien du bruit. On parle de Mme  de Prie, de traitants, de quatorze cent mille francs, de signatures ; mais on prétend qu’on va le faire

  1. Voyez tome XV, page 61.
  2. Probablement Georges d’Entragues ou d’Entraigues, duc de Phalaris, mari de la duchesse de ce nom. (Cl.)