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ANNÉE 1724.

ne convenaient, pour des raisons qu’ils ont senties eux-mêmes. L’abbé Desfontaines me présenta M. Davou, son ami, pour cette place : il me répondit de sa probité. Davou me parut avoir de l’esprit. Je lui promis la place de la part de M. de Richelieu, qui m’avait laissé la carte blanche, et je dis à M. de Richelieu que vous aviez trop de défiance de vous-même et trop peu de connaissance des affaires pour oser vous charger de cet emploi. Alors je vous écrivis une assez longue lettre dans laquelle je voulais me justifier auprès de vous de la proposition que vous aviez trouvée si ridicule, et dans laquelle je vous faisais sentir les avantages que vous méprisiez. Aujourd’hui je suis bien étonné de recevoir de vous une lettre par laquelle vous acceptez ce que vous aviez refusé, et me reprochez de m’être mal expliqué. Je vais donc tâcher de m’expliquer mieux, et vous rendre un compte exact des fonctions de l’emploi que je voulais sottement vous donner, des espérances que vous y pouviez avoir, et de mes démarches depuis votre dernière lettre. Il n’y a point de secrétaire d’ambassade en chef. monsieur l’ambassadeur n’a, pour l’aider dans son ministère, que l’abbé de Saint-Remi, qui est un bœuf, et sur lequel il ne compte nullement ; un nommé Guiry, qui n’est qu’un valet ; et un nommé Bussy, qui n’est qu’un petit garçon. Un homme d’esprit, qui serait le quatrième secrétaire, aurait sans doute toute la confiance et tout le secret de l’ambassadeur.

Si l’homme qu’on demande veut des appointements, il en aura ; s’il n’en veut point, il aura mieux, et il en sera plus considéré ; s’il est habile et sage, il se rendra aisément le maître des affaires sous un ambassadeur jeune, amoureux de son plaisir, inappliqué, et qui se dégoûtera aisément d’un travail journalier. Pour peu que l’ambassadeur fasse un voyage à la cour de France, ce secrétaire restera sûrement chargé des affaires ; en un mot, s’il plaît à l’ambassadeur, et s’il a du mérite, sa fortune est assurée.

Son pis-aller sera d’avoir fait un voyage dans lequel il se sera instruit, et dont il reviendra avec de l’argent et de la considération. Voilà quel est le poste que je vous destinais, ne pouvant pas vous croire assez insensé pour refuser ce qui fait l’objet de l’ambition de tant de personnes, et ce que je prendrais pour moi de tout mon cœur.

La première de vos lettres qui m’apprit cet étrange refus me donna une vraie douleur ; la seconde, dans laquelle vous me dites que vous êtes prêt[1] d’accepter, m’a mis dans un embarras

  1. Voyez la note, tome XIV, page 418.