Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
ANNÉE 1724.

serai mille fois plus à mon aise qu’ailleurs. Vous savez combien je suis attaché à la maîtresse de la maison, et combien j’aime à vivre avec vous ; mais je crains que vous n’ayez de la cohue. Mandez-moi donc franchement ce qui en est. Adieu, mon cher ami.



124. — À M. THIERIOT.

10 septembre.

Me voilà quitte entièrement de ma fièvre et de mon hôtel garni. Je suis revenu dans l’hôtel Bernières, où le plaisir d’être votre voisin me soulage un peu du bruit effroyable qu’on y entend. Je partirais bien vite pour la Rivière si ma santé était bien raffermie ; mais je ne suis pas encore dans un état à entreprendre des voyages par le coche. Peut-être, malgré mon goût pour la Rivière, faudra-t-il que je reste à Paris ; j’y mène une vie plus solitaire qu’à la campagne, et je vous assure que je n’y perds pas mon temps, si pourtant c’est ne le pas perdre que de l’employer sérieusement à faire des vers et d’autres ouvrages aussi frivoles. Je pourrais bien vous trouver quelques pièces de M. de La Fare, qui sont entre les mains de madame sa fille[1] ; mais je ne sais pas comment le bruit court que ses ouvrages et ceux de M. l’abbé de Chaulieu sont sous la presse ; Mme de La Fare l’a entendu dire, et en est très-fâchée. Vous jugez bien que, si après cela elle allait voir dans le recueil quelques pièces qu’elle m’aurait confiées, je me brouillerais avec elle, et me donnerais un peu trop la réputation de libraire-imprimeur. Je suis ruiné par les dépenses de mon appartement, et, pour surcroît, on m’a volé une bonne partie de mes meubles ; j’ai trouvé la moitié de nos livres égarés. On m’a pris du linge, des habits, des porcelaines, et on pourrait bien avoir aussi un peu volé Mme de Bernières. Voilà ce que c’est que d’avoir un suisse imbécile et intéressé, qui tient un cabaret, au lieu d’avoir un portier affectionné. Mandez-moi, je vous en prie, si vous n’avez prêté à personne un tome de la réponse de Jurieu à Maimbourg sur le Calvinisme. C’est un de nos livres perdus que je regrette le plus, attendu le bien qu’on y dit de la cour de Rome. La solitude où je vis fait que je ne vous manderai pas de grandes nouvelles. J’entends dire seulement par ma fenêtre que le roi d’Espagne est mort de la petite vérole[2]. Cela

  1. Mme de La Fare de Montclar. La première édition des Poésies de Chaulieu et de La Fare est de 1724, in-8o.
  2. Louis Ier, roi d’Espagne, le 17 janvier 1724, par l’abdication de Philippe V, mourut le 31 août de la même année.