Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/63

Cette page n’a pas encore été corrigée

ACTE IV, SCÈNE IV. 53

Cela est vrai pour quiconque est venu après Corneille, mais non pas pour lui, non-seulement à cause du temps où il est venu, mais à cause de son génie.

Vers 140. Hélas! je ne puis voir qui des deux est mon fils, etc.

Ce que Phocas dit ici est bien plus intéressant que dans Cal- deron, et les quatre derniers beaux vers: malheureux Phocas! font, je crois, une impression bien plus touchante, parce qu'ils sont mieux amenés. Phocas, dans l'espagnol, dit aux deux princes: Es-tu mon fils ? Tous deux répondent à la fois : Non ; et c'est à ce mot que Phocas s'écrie : malheureux Phocas ! ô trop heureux Maurice 1 ! etc.

Cette manière est fort belle, j'en conviens ; mais n'y a-t-il rien de trop brusque ? Ces quatre beaux vers de Calderon ne sont-ils pas un jeu d'esprit? Il trouve d'abord que Maurice a deux fils, et que lui n'en a plus : cette idée ne demande-t-elle pas un peu de préparation ? Quand les deux enfants ont répondu non, la pre- mière chose qui doit échapper à Phocas, n'est-ce pas une expres- sion de douleur, de colère, de reproche? J'avoue que le non des deux princes est fort beau, et qu'il convient très-bien à deux sauvages comme eux.

On peut dire encore que pour vivre après toi, pour régner après moi, n'a pas l'énergie de l'espagnol. Ces deux fins de vers après toi, après moi, font languir le discours. Calderon est bien plus précis :

Ah, venturoso Mauricio !

Ah, infeliz Phocas, quien vio

Que para reynar no quiera

Ser hijo de mi valor

Uno, y que quieran del tuyo

Ser lo para morir dos !

Vers 156. De quoi parle à mon cœur ton murmure imparfait? Ne me dis rien du tout, ou parle tout à fait.

Ces deux beaux vers de cette admirable tirade ont été imités par Pascal, et c'est la meilleure de ses pensées 2 . Cela fait bien

1. Voyez tome XVII, page 30fi.

2. Seconde partie, article 17, paragraphe 5. « Si je voyais partout les marques d'un créateur, je reposerais en paix dans la foi ; mais voyant trop pour nier ci trop peu pour m'assurer, je suis dans un état à plaindre, et où j'ai souhaité cent fois que si un Dieu soutient la nature, elle le marquât sans équivoque, et que si les marques qu'elle en donne sont trompeuses, elle les supprimât tout à fait : qu'elle dit ou tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. »

�� �