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PRÉFACE DU COMMENTATEUR. 301

ment fondée sur l'amour du bien public; elle est adroite; elle est noble; elle ne disserte point; elle augmente la terreur. Clytemncstre est le. modèle du grand pathétique; Iphigénie, celui de la simplicité noble et intéressante ; Agamcmnon est tel qu'il doit être. Et quel style! C'est là le vrai sublime

Après Surèna, Pierre Corneille renonça au théâtre, auquel il eût dû renoncer plus tôt. 11 survécut pics de dis ans à cette pièce, il fut témoin des succès mérités de son illustre rival ; mais il avait la consolation de voir représenter ses anciennes pièces avec des applaudissements toujours nouveaux, et c'est aux beaux morceaux de ces anciens ouvrages que nous renvoyons le lecteur. 11 remarquera que tout ce qui est bien pensé dans ces chefs-d'œuvre est presque toujours bien exprimé, à quelques tours et quelques termes près qui ont vieilli; et qu'il n'est obscur, guindé, alambiqué, incorrect, faible et froid, que quand il n'est pas soutenu par la force du sujet. Presque tout ce qui est mal exprimé chez lui ne méritait pas d'être exprimé. Il écrivait très- inégalement, mais je ne sais s'il avait un génie inégal, comme on le dit, car je le vois toujours, dans ses meilleures pièces et dans ses plus mauvaises, attaché à la solidité du raisonnement, à la force et à la profondeur des idées, presque toujours plus occupé de disserter que de toucher; plein de ressources, jusque dans les sujets les plus ingrats; mais de ressources souvent peu tragiques; choisissant mal tous ses sujets, depuis Œdipe; inven- tant des intrigues, mais petites, sans chaleur et sans vie ; s'étant fait un mauvais style, pour avoir travaillé trop rapidement ; et cherchant à se tromper lui-même sur ses dernières pièces. Son grand mérite est d'avoir trouvé la France agreste, grossière, ignorante, sans esprit, sans goût, vers le temps du Cid, et de l'avoir changée : car l'esprit qui règne au théâtre est l'image fidèle de l'esprit d'une nation. Non-seulement on doit à Corneille la tragédie, la comédie, mais on lui doit l'art de penser.

Il n'eut pas le pathétique des Grecs ; il n'en donna une idée que dans le dernier acte de Rodogune, et le tableau que forme ce cinquième acte me paraît, avec ses défauts, très-supérieur à tout ce que la Grèce admirait. Le tableau du cinquième acte d'Athalie est dans ce grand goût. Il faut avouer que tous les derniers actes des autres pièces, sans exception, sont maigres, décharnés, faibles en comparaison. Si vous exceptez ces deux spectacles frappants, nos tragédies françaises ont été trop souvent des recueils de dia- logues plutôt que des actions pathétiques. C'est par là que nous péchons principalement ; mais avec ce défaut, et quelques autres

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