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ACTE V, SCÈNE VI. 229

Vers 40. Je n'y remettrai point le carnage et l'horreur.

On ne remet point le carnage dans une ville comme on y remet la paix. Le carnage et l'horreur, termes vagues et usés qu'il faut éviter. Aujourd'hui tous nos mauvais versificateurs emploient le carnage et l'horreur à la fin d'un vers, comme les armes et les alarmes pour rimer.

Versdern. Je suis maître, je parle; allez, obéissez.

Le froid qui règne dans ce dénoûmcnt vient principalement du rôle has et méprisable que joue Perpenna. Il est assez lâche pour venir accuser la femme de Pompée d'avoir voulu faire des ennemis à son mari dans le temps de son divorce, et assez im- bécile pour croire que Pompée lui en saura gré dans le temps qu'il reprend sa femme.

Un défaut non moins grand, c'est que cette accusation contre Aristie est un faible épisode auquel on ne s'attend point.

C'est une belle chose dans l'histoire que Pompée brûle les lettres sans les lire; mais ce n'est point du tout une chose tra- gique : ce qui arrive dans un cinquième acte sans avoir été pré- paré dans les premiers ne fait jamais une impression violente.

Ces lettres sont une chose absolument étrangère à la pièce. Ajoutez à tous ces défauts contre l'art du théâtre que le supplice d'un criminel, et surtout d'un criminel méprisable, ne produit jamais aucun mouvement dans l'âme; le spectateur ne craint ni n'espère. Il n'y a point d'exemple d'un dénoûment pareil qui ait remué l'âme, et il n'y en aura point. Aristote avait bien raison, et connaissait bien le cœur humain quand il disait que le simple châtiment d'un coupable ne pouvait être un sujet propre au théâtre.

Encore une fois, le cœur veut être ému ; et quand on ne le trouble pas, on manque à la première loi de la tragédie.

Viriate parle noblement à Pompée ; mais des compliments finissent toujours une tragédie froidement. Toutes ces vérités sont dures, je l'avoue; mais à qui dures? A un homme qui n'est plus. Quel bien lui ferais-je en le flattant? Quel mal, en disant vrai ? Ai-je entrepris un vain panégyrique ou un ouvrage utile? Ce n'est pas pour lui que je réfléchis, et que j'écris ce que m ont appris cinquante ans d'expérience : c'est pour les auteurs et poul- ies lecteurs. Quiconque ne connaît pas les défauts est incapable de connaître les beautés ; et je répète ce que j'ai dit dans l'exa- men de presque toutes ces pièces, que la vérité est préférable à Corneille, et qu'il ne faut pas tromper les vivants par respect

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