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180 REMARQUES SUR SERTORIUS.

soutiendra toujours, et sera le père do la Traie comédie, quoique ses pièces ne soient pas suivies comme autrefois par la foule. Ainsi les charmants opéras de Quinault feront toujours les délices de quiconque est sensible à la douce harmonie de la poésie, au naturel et à la vérité de l'expression, aux grâces faciles du style, quoique ces mômes opéras aient toujours été en butte aux satires de Roileau, son ennemi personnel, et quoiqu'on les représente moins souvent qu'autrefois.

Il est des chefs-d "œuvre de Corneille qu'on joue rarement. 11 y en a, je crois, deux raisons : la première, c'est que notre nation n'est plus ce qu'elle était du temps des Horaces et de Cinna. Les premiers de l'État «dors, soit dans l'épée, soit dans la rob e,soit dans l'Église, se faisaient un honneur, ainsi que le sénat de home, d'assister à un spectacle où l'on trouvait une instruction et un plaisir si nobles.

Quels furent les premiers auditeurs de Corneille ? Un Coude, un Turenne, un cardinal de Retz, un duc de La Rochefoucauld, un Mole, un Lamoignon, des évêques gens de lettres, pour les- quels il y avait toujours un banc particulier à la cour aussi bien que pour messieurs de l'Académie. Le prédicateur venait y apprendre l'éloquence et l'art de prononcer : ce fut l'école de Rossuet. L'homme destiné aux premiers emplois de la robe venait s'instruire à parler dignement. Aujourd'hui, qui fréquente nos spectacles? In certain nombre de jeunes gens et de jeunes femmes.

La seconde raison est qu'on a rarement des acteurs dignes de représenter Cinna et les Horaces. On n'encourage peut-être pas assez cette profession, qui demande de l'esprit, de l'éducation, une connaissance assez grande de la langue, et tous les talents extérieurs de l'art oratoire. Mais quand il se trouve des artistes qui réunissent tous ces mérites, c'est alors que Corneille paraît dans toute sa grandeur.

Mon admiration pour ce rare génie ne m'empêchera point de suivre ici le devoir que je me suis prescrit, de marquer avec au- tant de franchise que d'impartialité ce qui me paraît défectueux, aussi bien que ce qui me semble sublime. Autant les injures des d'Aubignac et de ceux qui leur ressemblent sont méprisables, autant on doit aimer un examen réfléchi, dans lequel on res- pecte toujours la vérité que l'on cherche, le goût des connaisseurs qu'on a consultés, et l'auteur illustre que l'on commente. La cri- tique s'exerce sur l'ouvrage, et non sur la personne; elle ne doit ménager aucun défaut, si elle veut être utile.

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