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Jugez quel effet ferait aujourd’hui au théâtre une princesse inutile, dissertant sur l’amour, et voulant prouver en forme que ce qui serait vertu dans une femme ne le serait pas dans un homme. Je ne parle pas du style et des l’autcs contre la langue, et de l’horreur animée par toute la Grèce, et des hauts emporterai qu’un beau feu inspire. Ce galimatias froid et boursouflé est assez condamné aujourd’hui.

Vers 89. Ah! madame, vos yeux combattent vos maximes, etc.

Et que dirons-nous de ce Thésée, qui lui répond galamment que ses yeux combattent ses maximes; que si elle aimait bien, elle conseillerait mieux, et qu’auprès de sa princesse, aux seuls devoirs d’amant un héros s’intéresse"? Disons la vérité; cela ne serait pas supporté aujourd’hui dans le plus plat de nos romans.

SCENE III.

Vers 12. Je vous aurois fait voir un beau feu dans mon sein, etc.

Thésée, qui fait voir un beau feu dans son sein, et qui s’appelle amant misérable; Œdipe, qui devine qu’un intérêt d’amour retient Thésée au milieu delà peste ; l’offre d’une fille, la demande d’une autre fille, l’aveu qu’Antigone est parfaite, Ismène admirable, et que Dircé n’a rien de comparable : en un mot, ce style d’un froid comique, qui revient toujours, ces ironies, ces dissertations sur l’amour galant, tant de petitesses grossières dans un sujet si su- blime, font voir évidemment que la rouille de notre barbarie n’était pas encore enlevée, malgré tous les efforts que Corneille avait faits dans les belles scènes de Cinna et d’Horace. Le sujet û’Œdipe demandait le style d’Athalie, et celui dont Corneille s’est servi n’est pas, à beaucoup près, aussi noble que celui du Misanthrope. Cependant Corneille avait montré dans plusieurs scènes de Pompée qu’il savait orner ses vers de toute la magnificence de la poésie ; le sujet d’Œdipe n’est pas moins poétique que celui de Pompée : pourquoi donc le langage est-il dans Œdipe si opposé au sujet? Corneille s’était trop accoutumé à ce style familier, à ce ton de dissertation. Tous ses personnages, dans presque tous ses ouvrages, raisonnent sur l’amour et sur la politique. C’est non- seulement l’opposé de la tragédie, mais de toute poésie : car la poésie n’est guère que peinture, sentiment, et imagination. Les raisonnements sont nécessaires dans une tragédie, quand on délibère sur un grand intérêt d’État : il faut seulement qu’alors