Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/163

Cette page n’a pas encore été corrigée

REMARQUES SUR CEDIPE. 153

Soil qu'il faille ternir ceux d'Énée et d'Achille

Par un noble attentat sur Homère et Virgile; Soit qu'il faille obscurcir par un dernier effort Ceux que j'ai sur la scène affranchis de la mort; Tu me verras le même, et je te ferai dire, Si jamais pleinement ta grande âme m'inspire, Que dix lustres et plus n'ont pas tout emporté Cet assemblage heureux de force et de clarté, Ces prestiges secrets de l'aimable imposture Qu'à l'envi m'ont prêtés et l'art et la nature.

N'attends pas toutefois que j'ose m'enhardir *, Ou jusqu'à te dépeindre, ou jusqu'à t' applaudir; Ce seroit présumer que, d'une seule vue, J'aurois vu de ton cœur la plus vaste étendue; Qu'un moment suffiroit à mes débiles yeux Pour démêler en toi ces dons brillants des deux, De qui l'inépuisable et perçante lumière, Sitôt que tu parois, fait baisser la paupière. J'ai déjà vu beaucoup en ce moment heureux: Je t'ai vu magnanime, affable, généreux; Et, ce qu'on voit à peine après dix ans d'excuses, Je t'ai vu tout d'un coup libéral pour les muses. Mais pour te voir entier, il faudroit un loisir Que tes délassements daignassent me choisir. C'est lors que je verrois la saine politique Soutenir par tes soins la fortune publique; Ton zèle infatigable à servir ton grand roi, Ta force et ta prudence à régir ton emploi; C'est lors que je verrois ton courage intrépide Unir la vigilance et la vertu solide ■ ; Je verrois cet illustre et haut discernement, Qui te met au-dessus de tant d'accablement; Et tout ce dont l'aspect d'un astre salutaire Pour le bonheur des lis t'a fait dépositaire.

1. N'attends pas toutefois que j'ose m'enhardir, etc.

On est bien plus fâché encore qu'un homme tel que Corneille n'ose s'enhardir jusqu'à applaudir un autre homme, et que la plus vaste étendue du cœur d'un procureur général de Paris ne puisse être vue d'une seule vue. Il eût mieux valu, à mon avis, pour l'auteur de China, vivre à Rouen avec du pain bis et de la gloire que de recevoir de l'argent d'un sujet du roi, et de lui faire de si mauvais vers pour son argent. On ne peut trop exhorter les hommes de génie à ne jamais prostituer ainsi leurs talents. On n'est pas toujours le maître de sa fortune, mais on l'est toujours de faire respecter sa médiocrité, et même sa pauvreté. (Xote de Voltaire.)

2. Lisez :

Unir la vigilance à la vertu solide.

�� �