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386 REMARQUES SUR POLYEUCTE.

ont-ils de plus condamnables? Rang sien, faveur sienne, expres- sions de comédie. Voyez avec quelle noble élégance Titus, dans Racine, dit qu'il doit tout à Bérénice^ :

Bérénice me plul. Que ne fait poinl un cœur Pour plaire à ce qu'il aime, et gagner son vainqueur ! Je prodiguai mon sang. Tout fit place à mes armes. Je revins triomphant; mais le sang et les larmes Ne me suffisoient pas pour mériter ses vœux. J'entrepris le bonliour de mille malheureux. On vit de toutes parts mes bontés se répandre. Heureux et plus heureux que tu ne peux comprendre, Quand je pouvois paraître à ses yeux satisfaits, Chargé de mille cœurs conquis par mes bienfaits ! Je lui dois tout, Paulin...

Cette élégance est absolument nécessaire pour constituer un ouvrage parfait. Je ne prétends pas dépriser Corneille; mon com- mentaire n'est ni un panégyrique, ni une censure, mais un exa- men impartial, La perfection de l'art est mon seul objet.

Vers 41 . As-tu vu des froideurs quand tu l^^^i as ]M-iée ?

Ce petit artifice de ne pas apprendre tout d'un coup à Sévère que Pauline est mariée est peut-être un ressort indigne de la tragédie : on voit trop que l'auteur prend ses avantages pour ménager une surprise ; et encore la surprise n'est pas naturelle, car il n'est pas possible qu'on ignore un moment dans ja maison de Félix le mariage de sa fille: il a dû le savoir en mettant le pied dans l'Arménie.

Vers 42. Je tremble à vous le dire; elle est... — Quoi? — .Mariée.

Comment s'exprimerait-on autrement dans la comédie? Quelle idée peut avoir Sévère en (Visant quoi? Que peut-il soupçonner? Il sait que Pauline est vivante, quelle est honorée. Ce quoi n'est là que pour faire dire à Fabian : Mariée; et Sévère devait le savoir tout aussi bien que Fabian. Remarquez toutefois que, malgré tous ces défauts contre la vraisemblance, il règne dans cette scène un très-grand intérêt ; et c'est là ce qui fait le succès des tragédies. Ce mouvement d'intérêt diminuerait beaucoup si les spectateurs étaient tous des censeurs éclairés. Mais le public est composé d'hommes qui se laissent entraîner au sentiment.

I. Bérénice, -àcle II, scène a.

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