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374 REMARQUES SUR POLVEUCTli.

Vers 34. Le l)nis qui la versoit en devient plus avare.

Il y avait dans les premières éditions :

Le bras qui la versoit s'arrôte et se courrouce ; Notre cœur s'endurcit, et sa pointe s'émousse.

Il faut avouer qu'aujourd'hui on ne souffrirait pas un bras qui verse une grâce.

Vers 39. Et jiour ({uelques soupirs qu'on vous a fait ouïr, Sa flamme se dissipe, et va s'évanouir.

Ce mot ouïr ne peut guère convenir à des soupirs. Quand Racine, dans son style châtié, toujours élégant, toujours noble, et d'autant plus hardi qu'il le paraît moins, fait dire à Andromaquc ^:

. . . . Ah ! soigneur, vous entendiez assez Des soupirs qui craignoient de se voir repoussés,

le mot d'entendre signifie là comprendre, connaître. Vous connaissiez mon cœur par mes soupirs. ,, /'

Vers 53. Ainsi du genre humain l'ennemi vous abuse.

Ce langage familier de la dévotion parut d'abord extraordi- naire; on venait de jouer Sainte Agnes, d'un Puget de La Serre. Elle était toml)ée; sa chute donna mauvaise opinion de Saint Polyeucte à l'hôtel de Rambouillet. Le cardinal de Richelieu le con- damna comme le Cid. C'est ce que nous apprend l'abbé Hedelin d'Aubignac, ennemi de Corneille, et qui croyait être son maître.

Remarquez que cette périphrase, l'ennemi du genre humain, est ■ noble, et que le nom propre eût été ridicule. Le vulgaire se re- présente le diable avec des cornes et une longue queue, L'cnnenii du genre humain donne l'idée d'un être terrible qui combat contre Dieu même. Toutes les fois qu'un mot présente une image, ou basse, ou dégoûtante, ou comique, ennoblissez-la par des images accessoires ; mais aussi ne vous piquez pas de vouloir ajouter une grandeur vainc à ce qui est imposant par soi-même. Si vous voulezexprimcr que le roi vient, dites le roi vient; et n'imitez pas le poète qui, trouvant ces mots trop communs, dit :

Ce grand roi roule ici ses pas impérieux. Vers 34. Ce qu'il ne peut do force, il l'entrcpnMid de ruse.

De force, de riisc, cola est lAche, et n'est pas d'un français pur. On n'entreprend point de ruse.

1. Acte III. scène vi.

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