Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus faire de réponse, s’il ne voulait lui déplaire; mais d’ailleurs, craignant que des tacites menaces que vous lui faites, vous, ou quelqu’un de vos amis, n’en viennent aux effets, qui tireraient des suites ruineuses à l’un et à l’autre, elle m’a commandé de vous écrire que, si vous voulez avoir la continuation de ses bonnes grâces, vous mettiez toutes vos injures sous le pied, et ne vous souveniez plus que de votre ancienne amitié, que j’ai charge de renouveler sur la table de ma chambre, à Paris, quand vous serez tous rassemblés. Jusqu’ici j’ai parlé par la bouche de Son Éminence; mais, pour vous dire ingénument ce que je pense de toutes vos procédures, j’estime que vous avez suffisamment puni le pauvre M. Corneille de ses vanités, et que ses faibles défenses ne demandaient pas des armes si fortes et si pénétrantes que les vôtres : vous verrez un de ces jours son Cid assez malmené par les sentiments de l’Académie.

L’Académie trompa les espérances de Boisrobert. On voit évidemment, par cette lettre, que le cardinal de Richelieu voulait humilier Corneille, mais qu’en qualité de premier ministre il ne voulait pas qu’une dispute littéraire dégénérât en querelle personnelle.

Pour laver la France du reproche que les étrangers pourraient lui faire, que le Cid n’attira à son auteur que des injures et des dégoûts, je joindrai ici une partie de la lettre que le célèbre Balzac écrivait à Scudéri, en réponse à la critique du Cid, que Scudéri lui avait envoyée :

Considérez néanmoins, monsieur, que toute la France entre en cause avec lui, et que peut-être il n’y a pas un des juges dont vous êtes convenus ensemble qui n’ait loué ce que vous désirez qu’il condamne : de sorte que, quand vos arguments seraient invincibles, et que votre adversaire y acquiescerait, il y aurait toujours de quoi se consoler glorieusement de la perte de son procès, et vous dire que c’est quelque chose de plus d’avoir satisfait tout un royaume que d’avoir fait une pièce régulière. Il n’y a point d’architecte d’Italie qui ne trouve des défauts à la structure de Fontainebleau, et qui ne l’appelle un monstre de pierre ; ce monstre, néanmoins, est la belle demeure des rois, et la cour y loge commodément. Il y a des beautés parfaites qui sont effacées par d’autres beautés qui ont plus d’agrément et moins de perfection ; et, parce que l’acquis n’est pas si noble que le naturel, ni le travail des hommes que les dons du ciel, on vous pourrait encore dire que savoir l’art de plaire ne vaut pas tant que savoir plaire sans art. Aristote blâme la Fleur d’Agathon, quoiqu’il dit qu’elle fût agréable ; et l’Œdipe peut-être n’agréait pas, quoique Aristote l’approuve. Or, s’il est vrai que la satisfaction des spectateurs soit la fin que se proposent les spectacles, et que les maîtres mêmes du métier aient quelquefois appelé de César au peuple, le Cid du poëte français ayant plu aussi bien que la Fleur du poëte grec, ne serait-il point vrai qu’il a obtenu la fin de la représentation, et qu’il est