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pagnol à la mode qu'il était alors presque honteux aux gens de lettres de l'ignorer. La plupart de nos comédies étaient imitées du théâtre de AFadrid.

Ln secrétaire de la reine Marie de Médicis, nommé ChaJons, retiréà Rouen dans sa vieillesse, conseilla à Corneille d'apprendre . l'espagnol, et lui proposa d'ahorder le sujet du Cid. I/Espagne avait deux tragédies du Cid : l'une de Diamante, intitulée el llonrador de supadre, qui était la plus ancienne'; l'autre, el Cid, de (iuillem de Castro, qui était la plus en vogue. On voyait dans toutes les deux une infante amoureuse du Cid, et un houfl'on, appelé le valet gracieux, personnages également l'idicules ; mais tous les sentiments généreux et tendres dont Corneille a fait un si hel usage sont dans ces deux originaux.

Je n'avais pu encore déterrer le Cid de Diamante, quand je donnai la première édition des Commentaires sur Corneille; je mar- querai dans celle-ci les principaux endroits qu'il traduisit de cet auteur espagnol.

C'est une chose à mon avis très-remarquahle que, depuis la. renaissance des lettres en Europe, depuis que le théâtre était cultivé, on n'eût encore rien produit de véritablement intéres- sant sur la scène, et qui fît verser des larmes, si on en excepte quelques scènes attendrissantes du Pastor fido et du Cid espagnol. Les pièces italiennes du xvr siècle étaient de belles déclamations imitées du grec ; mais les déclamations ne touchent point le cœur. Les pièces espagnoles étaient des tissus d'aventures incroyables ; les Anglais avaient encore pris ce goût. On n'avait point su encore parler au cœur chez aucune nation. Cinq ou six endroits très- touchants, mais noyés dans la foule des irrégularités de Guillem de Castro, furent sentis par Corneille, comme on découvre un sentier couvert de ronces et d'épines,

11 sut faire du Cid espagnol une pièce moins irrégulière et non moins touchante. Le sujet du t7(/est le mariage de Rodrigue avec

��1. C'est là une des plus grosses erreurs de Voltaire. Corneille, quoi qu'en aient dit Voltaire, Laharpo el Sismondi, et r omme le fait remarquer M. Ilippolyte Lucas dans son Histoire du Ihrâlre fiançais, n'a pu avoir connaissance de la pièce de Juan- Baptiste Diamante, el llonrador de su padre (Celui qui honore son père), puisque cette pièce n'a paru que vingt-deux ans après son Cid, dont elle n'est qu'une contrefaçon à la mode espagnole, en y ajoutant quelques scènes de Guillem de Castro, et l'élément comique de plus. Mais Voltaire est excusable de son erreur, car l'acte de naissance de Diamante n'a été découvert que de nos jours. Diamante est né en 162(5 ; il n'avait que dis ans lors de la première représentation du Cid (1636). Il ne faut donc tenir aucun compte des remarques de Voltaire sur l'œuvre de Diamante, qu'il tient pour originale. (G. A.)

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