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REMARQUES SUR MÉDÉE.

Racine fait parler ironiquement Axiane à Taxile, quand elle lui dit :

  .  .  .  .  .  Approche, puissant roi,
  Grand monarque de l’Inde, on parle ici de toi[1].

Il met aussi quelques ironies dans la bouche d’Hermione; mais, dans ses autres tragédies, il ne se sert plus de cette figure. Remarquez, en général, que l’ironie ne convient point aux passions : elle ne peut aller au cœur, elle sèche les larmes. Il y a une autre espèce d’ironie qui est un retour sur soi-même, et qui exprime parfaitement l’excès du malheur. C’est ainsi qu’Oreste dit dans l’Andromaque :

  Oui, je te loue, ô ciel ! de ta persévérance.

C’est ainsi que Guatimozin disait au milieu des flammes : Et moi, suis-je sur un lit de roses? Cette figure est très-noble et très-tragique dans Oreste, et dans Guatimozin elle est sublime. Observez que toutes les scènes semblables à celle-ci sont toujours froides; il convient rarement au tragique de parler longtemps du passé. Ce poème est natum rebus agendis[2]; ce doit être une action[3].

Vers 83. Vous voulez qu’on l’honore, et que, de deux complices,
  L’un ait votre couronne, et l’autre des supplices.
Ille crucem sceleris pretium tulit, hic diadema[4].
Vers 133.  .  .  .  .  .  Soldats, remettez-la chez elle.

Si Médée est une magicienne aussi puissante qu’on le dit, et que Créon même le croit, comment ne craint-il pas de l’offenser, et comment même peut-il disposer d’elle? C’est là une étrange contradiction que l’antiquité grecque s’est permise. Les illusions de l’antiquité ont été adoptées par nous: les juges ont osé juger des sorciers; mais il s’était répandu une opinion aussi ridicule que celle de la magie même, et qui lui servait de correctif, c’était que les magiciens perdaient tout leur pouvoir dès qu’ils étaient entre les mains de la justice. L’Arioste, et le Tasse son heureux imitateur, prirent un tour plus heureux : ils feignirent que les enchantements pouvaient être détruits par d’autres enchantements; cela seul mettait de la vraisemblance dans ces fables, qui,

  1. Alexandre, acte IV, scène iii.
  2. Horace, Art poétique, 82.
  3. Palissot dit que Racine n’a pas cessé d’employer l’ironie toutes les fois que son sujet l’a demandé, et il cite la réponse d’Abner à Mathan dans Athalie : Eh quoi? Mathan, etc. (G. A.)
  4. Juvénal, sat. XIII, 105.