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demanda la permission de se retirer : Vous voilà souveraine ; si je demeure, je suis perdu. Il est en Sibérie.

Le plus petit commis eût pu en affaires tromper Corneille et Newton et les politiques osent se croire de grands génies !

On peut dire de la plupart des compilateurs d’aujourd’hui ce que disait Balzac de la Mothe Le Vayer : Il fait le dégât dans les bons livres.

Les rois sont trompés sur la religion et sur les monnaies, parce que sur ces deux articles il faut compter et s’appliquer. La philosophie seule peut rendre un roi bon et sage. La religion peut le rendre superstitieux et persécuteur. Il y a toujours à parier qu’un roi sera un homme médiocre : car sur cent hommes, quatre-vingt-dix sols ; sur vingt millions, un roi ; donc dix-huit millions à parier contre deux qu’un roi sera un pauvre homme.

Tous les faits principaux de l’histoire doivent être appliqués à la morale et à l’étude du monde, sans cela la lecture est inutile.

Denys le Tyran traitait les philosophes comme des bouteilles de bon vin : tant qu’il y avait de la liqueur, il s’en servait ; n’y avait-il plus rien, il les cassait[1]. Ainsi font tous les grands.

Les beaux dits des héros ne font effet que quand ils sont suivis du succès. — Tu conduis César et sa fortune… Mais s’il s’était noyé ? — Et moi aussi si j’étais Parménion ?… Mais s’il avait été battu ? — Prends ces haillons, et rapporte-les-moi dans le palais Saint- James… Mais Édouard est battu.

Tous les siècles se ressemblent-ils ? Non, pas plus que les différents âges de l’homme. Il y a des siècles de santé et de maladie.

La raison a fait tort à la littérature comme à la religion : elle l’a décharnée. Plus de prédictions, plus d’oracles, de dieux, de magiciens, de géants, de monstres, de chevaliers, d’héroïnes. La raison seule ne peut faire un poëme épique.

On aime la gloire et l’immortalité comme on aime sa race, qu’on ne peut voir.

  1. Voilà pourquoi Voltaire donnait à Frédéric le nom de Denys ; voyez sa lettre à d’Alembert, du 28 septembre 1763.