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les provinces étaient également asservies enfin le temps pouvait établir le règne de la raison, et c’est le temps qui la plongea dans les fers.

Combien de fanatiques ont répété que Jésu punit Julien, et le tua par la main des Perses pour n’avoir pas été de sa religion ! Cependant il régna près de trois ans ; et Jovien, son successeur chrétien, ne vécut que six mois après son élection.

Les chrétiens, qui n’avaient cessé de se déchirer sous Constantin et sous ses enfants, ne purent être humanisés par Julien. Ils se plaignaient, dit ce grand homme dans ses Lettres, de n’avoir plus la liberté de s’égorger mutuellement ; ils la reprirent bientôt, cette liberté affreuse, et ils l’ont poussée sans relâche à des excès incroyables, depuis les querelles de la consubstantialité jusqu’à celles de la transsubstantiation fatale preuve, dit le respectable milord Bolingbroke, mon bienfaiteur[1], que l’arbre de la croix n’a pu porter que des fruits de mort.


Chapitre XXII. En quoi le christianisme pouvait être utile.

Nulle secte, nulle école, ne peut être utile que par ses dogmes purement philosophiques car les hommes en seront-ils meilleurs quand Dieu aura un verbe, ou quand il en aura deux, ou quand il n’en aura point ? Qu’importe au bonheur de la société que Dieu se soit incarné quinze fois vers le Gange, ou cent cinquante fois à Siam, ou une fois dans Jérusalem ?

Les hommes ne pouvaient rien faire de mieux que d’admettre une religion qui ressemblât au meilleur gouvernement politique. Or ce meilleur gouvernement humain consiste dans la juste distribution des récompenses et des peines ; telle devait donc être la religion la plus raisonnable.

Soyez juste, vous serez favori de Dieu ; soyez injuste, vous serez puni. C’est la grande loi dans toutes les sociétés qui ne sont pas absolument sauvages.

L’existence des âmes, et ensuite leur immortalité, ayant été une fois admises chez les hommes, rien ne paraissait donc plus convenable que de dire Dieu peut nous récompenser ou nous

  1. Par ce simple mot, Voltaire rend témoignage de ce qu’il doit à Bolingbroke. Voyez sa Vie, par Nicolas de Condorcet.