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s ânes. Les égyptiens étant venus l’année suivante, ils dirent : nous ne cacherons point à monseigneur que n’ayant plus ni argent, ni bétail, il ne nous reste que nos corps et la terre. Faudra-t-il que nous mourions à tes yeux ? Prens nos personnes et notre terre, fais-nous esclaves du roi, et donne-nous des semailles : car le cultivateur étant mort, la terre se réduit en solitude. Joseph acheta donc toutes les terres et tous les habitans de l’égypte d’une extrêmité du royaume à l’autre, excepté les seules terres des prêtres qui leur avaient été données par le roi. Ils étaient en outre nourris des greniers publics ; c’est pourquoi ils ne furent pas obligés de vendre leurs terres. Alors Joseph dit aux peuples : vous voyez que le pharaon est le maître de toutes vos terres et de toutes vos personnes. Maintenant voici des semailles ; ensemencez les champs, afin que vous puissiez avoir du bled et des légumes. La cinquieme partie appartiendra au roi : je vous permets ; et les quatre autres pour semer et pour manger ; à vous et à vos enfans. Et ils lui répondirent : notre salut est entre tes mains ; que le roi nous regarde seulement avec bonté, et nous le servirons gaiement [1].

    aurait fallu que les cataractes du Nil eussent été bouchées, et alors toute l’éthiopie n’aurait été qu’un vaste marais. Ou si les pluies qui tombent réguliérement chaque année dans la zone torride avaient cessé pendant sept années, l’intérieur de l’Afrique seroit devenu inhabitable. Nous répondons que les pluies cesserent tout aussi aisément, qu’élie ordonna depuis qu’il n’y aurait pendant sept ans ni rosée, et que l’un n’est pas plus difficile que l’autre. (Note de Voltaire.)

  1. c’est ici que les critiques s’élevent avec plus de hardiesse. Quoi ! (disent-ils) ce bon ministre Joseph rend toute une nation esclave. Il vend au roi toutes les personnes et toutes les terres du royaume. C’est une action aussi infame et aussi punissable que celle de ses freres qui égorgerent tous les sichémites. Il n’y a point d’exemple dans l’histoire du monde, d’une pareille conduite d’un ministre d’état. Un ministre, qui proposerait une telle loi en Angleterre, porterait bientôt sa tête sur un échafaud. Heureusement une histoire si atroce n’est qu’une fiction. Il y a trop d’absurdité à s’emparer de tous les bestiaux, lorsque la terre ne produisait point d’herbe pour les nourrir. Et si elle avait produit de l’herbe, elle aurait pu produire aussi du bled. Car, de deux choses l’une : le terrein de l’égypte étant de sable, les inondations régulieres du Nil peuvent seules faire produire de l’herbe ; ou bien ces inondations manquant pendant sept années, tous les bestiaux doivent avoir péri. De plus on n’était alors qu’à la quatrieme année de la stérilité prétendue. à quoi aurait servi de donner au peuple des semailles pour ne rien produire pendant trois autres années ? Ces sept années de stérilité (ajoutent-ils) sont donc la fable la plus incroyable que l’imagination orientale ait jamais inventée. Il semble que l’auteur ait tiré ce conte de quelques prêtres d’égypte. Ils sont les seuls que Joseph ménage : leurs terres sont libres, quand la nation est esclave, et ils sont encore nourris aux dépens de cette malheureuse nation. Il faut que les commentateurs d’une telle fable soient aussi absurdes et aussi lâches que son auteur. C’est ainsi que s’explique mot-à-mot un de ces téméraires. Un seul mot peut