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Vous demeurerez dans la terre de Gessen, ou Gossen : car il reste encore cinq années de famine. Je vous nourrirai, de peur que vous ne mouriez de faim, vous et toute votre famille. Vos yeux et les yeux de mon frere Benjamin sont témoins que ma bouche vous parle votre langue. Et il baisa Benjamin et tous ses freres qui pleurerent, et qui enfin oserent lui parler. Le bruit s’en répandit par-tout dans la cour du roi. Les freres de Joseph y vinrent. Le pharaon s’en réjouit ; il dit à Joseph d’ordonner qu’ils chargeassent leurs ânes, et qu’ils amenassent leur pere et tous leurs parens : je leur donnerai, dit-il, tous les biens de l’égypte [1], et ils mangeront la moëlle de la terre. Dites qu’ils prennent des voitures d’égypte pour amener leurs femmes et les petits enfans ; car toutes les richesses de l’égypte seront à eux. Israel, étant parti avec tout ce qui était à lui, vint au puits du jurement. Et ayant immolé des victimes au dieu de son pere Isaac, il entendit Dieu dans une vision pendant la nuit, lequel lui dit : Jacob, Jacob ! Et il répondit : me voilà. Dieu ajouta : je suis le très-fort, le Dieu de ton pere ; ne crains point, descends en égypte : car je te

    théâtre en Europe où cette histoire n’ait été représentée. La moins mauvaise de toutes les tragédies qu’on ait faites sur ce sujet intéressant, est, dit-on, celle de l’abbé Genest, jouée sur le théâtre de Paris en 1711. Il y en a eu une autre depuis par un jésuite, nommé Arthus, imprimée en 1749 ; elle est intitulée : la reconnaissance de Joseph, ou Benjamin, tragédie chrétienne en trois actes en vers, qui peut se représenter dans tous les colleges, communautés et maisons bourgeoises . Il est singulier que l’auteur ait appellé tragédie chrétienne une piece dont le sujet est d’un siecle si antérieur à Jesus-Christ*. Presque tous les romans que nous avons eus, soit anciens, soit modernes, et une infinité d’ouvrages dramatiques, ont été fondés sur des reconnaissances. Rien n’est plus naïf que celle de Joseph et de ses freres. Les critiques y reprennent quelques répétitions : ils trouvent mauvais que les onze patriarches, étant venus deux fois de suite de la part de Jacob, Joseph leur demande si son pere vit encore. Cette censure peut paraître outrée, comme le sont presque toutes les censures. La piété filiale peut faire dire à Joseph plus d’une fois : mon pere est-il encore en vie ? Ne reverrai-je pas mon pere ? (Note de Voltaire) *L’Omasis, ou Joseph en Egyte, tragédie de M. Baour-Lormain, est de 1807.

  1. il est étonnant que le pharaon dise : je donnerai à ces étrangers tous les biens de l’égypte. Mr Boulanger soupçonne que toute cette histoire de Joseph ne fut insérée dans le canon juif que du temps de Ptolémée-Evergete. En effet, ce fut sous ce roi Ptolémée qu’il y eut un Joseph fermier-général. Boulanger imagine que le roi de Syrie, Antiochus le grand, ayant fait brûler tous les livres en Judée, et les samaritains ayant abjuré la secte juive, on ne traduisit un exemplaire de l’ancien testament en grec que longtemps après, et non pas sous Ptolémée-Philadelphe ; qu’on inséra l’histoire du patriarche Joseph dans l’exemplaire hébreu et dans la traduction ; qu’alors les samaritains, redevenus demi-juifs, l’insérerent dans leur pentateuque. Cette conjecture téméraire paraît destituée de tout fondement. (id.)