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engrossée sur le champ. Et ayant quitté son habit, elle reprit son habit de veuve. Juda envoya par son valet le chevreau promis, pour reprendre ses gages. Le valet, ne trouvant point la femme, demanda aux habitans du lieu : où est cette fille de joie qui était assise sur ce chemin fourchu ? Ils répondirent tous : il n’y a point eu de fille de joie en ce lieu. Juda dit : eh bien ! Qu’elle garde mes gages ; elle ne pourra pas au moins m’accuser de n’avoir pas voulu la payer. Or trois mois après on vint dire à Juda : ta bru a forniqué ; car son ventre commence à s’enfler. Juda dit : qu’on l’aille chercher au plus vite, et qu’on la brûle. Comme on la conduisait au supplice, elle renvoya à Juda son anneau, son brasselet et son bâton, disant : celui à qui cela appartient m’a engrossée. Juda, aiant reconnu ses gages, dit : elle est plus juste que moi. Cependant Joseph fut conduit en égypte ; et Putiphar l’égyptien, eunuque de pharaon et prince de l’armée, l’acheta des ismaëlites. Et après plusieurs jours, la femme de Putiphar, ayant regardé Joseph, lui dit : couche avec moi. Lequel ne consentant point à cette action mauvaise, lui dit : voilà que mon maître m’a confié tout son bien ; en sorte qu’il ne sait pas ce qu’il a dans sa maison ; il m’a rendu le maître de tout, excepté de toi qui es sa femme. Cette femme sollicitait tous les jours ce jeune homme ; et il refusait de commettre l’adultere. Il arriva un certain jour que Joseph, étant dans la maison et fesant quelque chose sans témoin, elle le prit par son manteau, et lui dit : couche avec moi. Joseph, lui laissant son manteau, s’enfuit dehors. La femme, voyant ce manteau dans ses mains et qu’elle était méprisée, montra ce manteau à son mari, comme une preuve de sa fidélité, et lui dit : cet esclave hébreu, que tu as amené, est entré à moi pour se moquer de moi, et m’ayant entendu crier, il m’a laissé son manteau que je tenais, et s’en est enfui [1].

  1. cette histoire a beaucoup de rapport à celle de Bellérophon et de Proetus ; à celle de Thésée et d’Hippolyte, et à beaucoup d’autres histoires grecques et asiatiques. Mais ce qui ne ressemble à aucune fable des mythologies prophanes, c’est que Putiphar était eunuque et marié. Il est vrai que dans l’orient il y a quelques eunuques, et même des eunuques noirs, entiérement coupés, qui ont des concubines dans leur harem ; parce que ces malheureux, à qui on a coupé toutes les parties viriles, ont encore des yeux et des mains. Ils achetent des filles, comme on achete des animaux agréables pour mettre dans une ménagerie. Mais il fallait que la magnificence des rois d’égypte fût parvenue à un excès bien rare, pour que les eunuques eussent des serrails, ainsi qu’ils en ont aujourd’hui à Constantinople et à Agra. (Note de Voltaire.)