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Or Juda donna pour femme à son fils Her une fille nommée Thamar. Or son premier-né Her, étant méchant devant le seigneur, Dieu le tua. Juda dit donc à Onan son second fils : prends pour femme la veuve de ton frere ; entre dans elle, et suscite la semence de ton frere. Mais Onan, sachant que les enfans qu’il ferait ne seraient point à lui, mais seraient réputés être les enfans de feu son frere, en entrant dans sa femme, répandait sa semence par terre. C’est pourquoi le seigneur le tua aussi. C’est pourquoi Juda dit à Thamar sa bru : va-t’en ; reste veuve dans la maison de ton pere, jusqu’à ce que mon troisieme fils Séla soit en âge. Elle s’en alla donc et habita chez son pere. Or Juda, étant allé voir tondre ses brebis, Thamar prit un voile, et s’assit sur un chemin fourchu ; et Juda, l’ayant apperçue, crut que c’était une fille de joie, car elle avait caché son visage ; et s’approchant d’elle, il lui dit : il faut que je couche avec toi ; car il ne savait pas que c’était sa bru. Et elle lui dit : que me donneras-tu pour coucher avec moi ? Je t’enverrai, dit-il, un chevreau de mon troupeau. Elle répliqua : je ferai ce que tu voudras ; mais donne-moi des gages. Que demandes-tu pour gage, dit Juda ? Thamar répliqua : donne-moi ton anneau, ton brasselet et ton bâton. Il n’y eut que ce coït entre Juda et Thamar ; elle fut

    prend un voile pour se déguiser en fille de joie. Mais au contraire le voile était et fut toujours le vêtement des honnêtes femmes. Il est vrai que dans les grandes villes, où la débauche est fort connue, les filles de joie vont attendre les passans dans de petites rues, comme à Londres, à Paris, à Rome, à Venise. Mais il n’est pas vraisemblable que le rendez-vous des filles de joie dans le misérable pays de Canaan fût à la campagne dans un chemin fourchu. Il est bien étrange qu’un patriarche couche en plein jour avec une fille de joie sur le grand chemin, et s’expose à être pris sur le fait par tous les passans. Le comble de l’impossibilité est que Juda, étranger dans le Canaan, et n’ayant pas la moindre possession, ordonne qu’on brûle sa belle-fille, dès qu’il sait qu’elle est grosse ; et que sur le champ on prépare un bûcher pour la brûler, comme s’il était le juge et le maître du pays. Cette histoire a quelque rapport à celle de Thyeste, qui, rencontrant sa fille Pélopée, coucha avec elle sans la connaître. Les critiques disent que les juifs écrivirent fort tard, et qu’ils copierent beaucoup d’histoires grecques qui avaient cours dans toute l’Asie-Mineure. Joseph et Philon avouent que les livres juifs n’étaient connus de personne ; et que les livres grecs étaient connus de tout le monde. Quoiqu’il en soit, ce qu’il y a de plus singulier dans l’avanture de Thamar, c’est que notre seigneur Jésus-Christ naquit, dans la suite des temps, de son inceste avec le patriarche Juda. ce n’est pas sans de bonnes raisons (dit le révérend pere Don Calmet) que le st esprit a permis que l’histoire de Thamar, de Rahab, de Ruth, de Betzabé, se trouve mêlée dans la généalogie de Jesus-Christ . (Note de Voltaire.)