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��PRIX DE LA JUSTICE

��possible qu'il vous soit égal dordonuor ou des tourments affreux ou un plus amplement informé? Quelle épouvantable et ridicule alternative !

J'oserais croire qu'il n'a été qu'un seul cas où la torture parût nécessaire, et c'est l'assassinat de Henri IV, l'ami de notre répu- blique, l'ami de l'Europe, celui du genre humain. Le crime de sa mort perdait la France, exposait nos provinces, troublait vingt États.

L"iiitérét de la terre était de connaître les complices de Ra- \aillac. Mais le supplice d'être tiré à quatre chevaux, après avoir reçu du plomb fondu dans ses membres sanglants, tenaillés avec des tenailles ardentes, était assez long pour lui donner le temps de révéler ses associés s'il en avait eu. Il est probable qu'il n'avait d'autres complices que l'esprit de la Ligue et de Rome ; je veux dire de la Rome de son temps, car assurément celle d'aujour- d'hui ne tremperait pas dans de telles abominations.

Voyez, messieurs, si, excepté le crime de Ravaillac, commis contre l'Europe, la question dans toute autre circonstance n'est pasplus affreuse qu'utile'. Souvenons-nous toujours comment ce supplice fit périr, presque dans la même année, l'innocent Lan- glade et l'innocent Lebrun-; leur histoire déjà citée ^ est assez connue par tous ceux qui ont entendu parler des méprises de la justice. Ces deux martyrs de la forme des lois chez nos voisins font voir assez que la question ne sert pas à découvrir la vérité, mais sert à causer inutilement la mort la plus longue et la plus douloureuse. L'injustice du supplice de ce Langlade et de ce Lebrun ne fut reconnue qu'après leur mort; leurs juges pleu- rèrent; mais leur repentir n'abolit point la loi. Je ne connais pas comment les infortunés juges qui les condamnèrent purent être encore assez hardis pour ordonnerla question dans d'autres procès criminels, et comment Louis XV le souffrit. Mais un roi a-t-il le temps de songer à ces menus détails d'horreurs, au milieu de ses fêtes, de ses conquêtes, et de ses maîtresses? Daignez vous en occuper, ô Louis XVI, aous qui n'avez aucune de ces distractions 1

��1. L'impératrice de Russie Catherine II, avant d'abolir la question, fit exa- miner les ouvrages qu'elle avait ordonné de composer aux partisans encore nom- breux de la torture, et aux amis de l'humanité, qui avaient élevé la voix contre cette absurde et inutile barbarie. L'auteur qui soutenait qu'il fallait abolir la question était d'avis de la conserver pour le crime de lèse-majesté seulement. L'impératrice la proscrivit sans aucune réserve. (K.)

2. On peut voir l'histoire de leur innocence et de leur mort dans les Causes célèbres. {Note de Voltaire.)

3. Voyez ci-dessus, page 57G; et tome XVIIJ, page 117.

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