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donne-moi de tes mandragores. Lia

répondit : n’est-ce pas assez que tu m’aies pris mon mari, sans vouloir encore manger mes mandragores que mon fils m’a apportées ? Rachel lui dit : eh bien je te cede mon mari ; qu’il dorme avec toi cette nuit, et donne-moi de tes mandragores [1]. Lia alla donc au devant de Jacob qui revenait des champs, et lui dit : tu entreras dans moi cette nuit ; parce que je t’ai acheté pour prix de mes mandragores. Et Jacob coucha avec elle cette nuit-là. Dieu écouta la priere de Lia ; elle fit un cinquieme fils, et elle dit : Dieu m’a donné ma récompense, parce que j’ai donné ma servante à mon mari [2]. Jacob après cela dit à son beau-pere : tu sais comme je t’ai servi ; tu étais pauvre avant que je vinsse à toi ; maintenant tu es devenu riche ; il est juste que je pense aussi à mes affaires. Je serai encore ton valet, paissant tes troupeaux. Mettons à part toutes les brebis tachetées et marquées de diverses couleurs ; et désormais toutes les brebis et les chevres qui naîtront bigarrées seront à moi ; et celles qui naîtraient d’une seule couleur me convaincraient de t’avoir friponné. Laban dit : j’y consens. Or Jacob prit des branches de peuplier, d’amendier et de plane toutes vertes, les dépouilla d’une partie de leur écorce, ensorte

    paraît la plus faible de toutes. Nous pensons que des gardeurs de moutons et de chevres, tels qu’on nous peint les patriarches, pouvaient avoir imaginé la prétendue propriété des mandragores tout aussi bien que les charlatans des grandes villes. Ces plantes chevelues pouvaient être aisément taillées en figures d’hommes et de femmes avec les parties de la copulation ; et peut-être est-ce la premiere origine des priapes. (Note de Voltaire.)

  1. tous ces marchés sont assez singuliers. ésaü cede son droit d’ainesse pour un plat de lentilles, et Rachel cede son mari à sa sœur pour une racine qui ressemble imparfaitement au membre viril. Quelques personnes ont été scandalisées de toutes ces histoires ; elles les ont prises pour des fables grossieres, inventées par des arabes grossiers, aux dépens de la raison, de la bienséance et de la vraisemblance. Elles n’ont pas songé combien ces temps-là étaient différents des nôtres ; elles ont voulu juger des mœurs de l’Arabie par les mœurs de Londres et de Paris : ce qui n’est ni honnête ni vraisemblable de notre temps, a pu être l’un et l’autre dans les temps qu’on nomme héroïques. Nous voyons des choses non moins extraordinaires dans toute la mythologie grecque et dans les fables arabes. Nous l’avons déjà dit*, et nous devons le répéter : ce qui fut bon alors ne l’est plus. (Id.) * Page 22.
  2. on croiroit en effet que les mandragores opérerent dans Rachel ; puisqu’elle conçut un fils après en avoir mangé, et qu’elle en remercia le seigneur. Cette propriété des mandragores a été supposée chez toutes les nations et dans tous les temps. On sait que Machiavel a fait une comédie établie sur ce préjugé vulgaire. (Id.) — La Mandragore; comédie de Miachiavel, a été traduite en français par J.-B. Rousseau.