Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/573

Cette page n’a pas encore été corrigée

voulait, Cromwell lui répondit : « Je veux que les mers soient libres, et que l'Inquisition soit abolie sur la terre*. » Il manquait à cette réponse d’être faite par un homme vertueux : Cromwell eût ressemblé aux anciens Romains, qui défendirent aux Carthaginois d’immoler des bommes.

ARTICLE XII.
DE LA BIGAMIE ET DE L’ADULTÈRE.

La loi Caroline 2 punit ces délits par la mort. La peine n’est-elle pas trop au-dessus de la faute ?

A commencer par la bigamie, ce qui est autorisé de tout temps dans la plus ancienne et la plus vaste partie du monde ne peut être dans la plus nouvelle et la plus petite que la violation d’un usage nouveau, et n’est pas un crime par soi-même. Le même Juif qui peut épouser plusieurs femmes en Perse par la loi, et en Turquie par connivence, est coupable en Italie, en Allemagne, en Espagne, en France, s’il use de cet ancien privilège. Ne pourrait-on pas distinguer entre les devoirs universels et les devoirs locauxb? Respecter son père, sa mère, les nourrir dans l’indigence, payer ses dettes, n’outrager personne, secourir les soutirants autant qu’on le peut : ce sont là des devoirs à Siam comme à Rome. N’épouser qu’une femme est un devoir local 3.

L’adultère est un crime chez tous les peuples de la terre ; l’adultère des femmes s’entend, attendu que les hommes ont fait les lois. Ils se sont regardés comme les propriétaires de leurs épouses, elles sont leur bien ; l’adultère les leur vole; il introduit dans les familles des héritiers étrangers. Joignez à ces raisons la cruauté de la jalousie, et ne soyez pas étonné que chez

1. Mémoires de Ludlow, tome II, page 63, édition d’Amsterdam. (Note de Voltaire.)

2. Rédigée par Schwarzenberg, proposée à la diète par Charles-Quint, elle fut adoptée à Regensbourg, en 1532; mais son application dans les différents États germaniques se fit attendre longtemps. (G. A.)

3. Dans tout pays où la polygamie n’est point permise, la bigamie est un véritable délit, puisque le bigame commet un faux dans un acte public. Il trompe la femme qu’il épouse la seconde. C’est une action très-réfléchie : cette action doit donc être punie ; mais c’est la superstition, c’est l’idée d’un sacrilège, de la profanation d’un sacrement, idée étrangère à l’ordre civil, qui a fait établir la peine de mort. C’est encore là une des barbaries qui tirent leur origine de la théologie. Il n’y a pas longtemps qu’un grave magistrat proposa de faire brûler vive une hermaphrodite qui s’était mariée comme garçon, et que les médecins déclarèrent être une femme. Elle avait, disait-il, profané le sacrement de mariage. (K.)