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560 PRIX DE LA JUSTICE

de son style rérudition profonde, mais peut-être un peu rebu- tante, de Van Date, dans son Histoire des oracles. Il n'était pas possible de déférer à une cour de judicature un livre si bon et si sagement écrit. Ils se contentèrent de solliciter contre l'auteur une lettre de cachet qu'ils n'obtinrent pas ; et par cette conduite même ils prouvèrent combien il est odieux de ne combattre des raisons que par l'autorité.

-\e vous semble-t-il pas, messieurs, qu'en fait de livres il ne faut s'adresser aux tribunaux et aux souverains de l'État que lorsque l'État est compromis dans ces livres? La loi d'Angleterre sur cette question ne mérite-t-elle pas de servir d'exemple à tous les législateurs qui voudront faire jouir l'homme des droits de l'homme? Voulez-vous parler à tous vos compatriotes, vous ne pouvez parler que par vos livres : imprimez donc; mais ré- pondez de votre ouvrage. S'i; est mauvais, on le méprisera; s'il est dangereux, on y répondra ; s'il est criminel, on vous punira; s'il est bon, on en profitera tôt ou tard.

Quand on imprima les Pensées du duc de La Rochefoucauld, ou plutôt la pensée qui, présentée sous cent faces différentes, prouve que l'amour-propre est le grand ressort du genre humain, chacun trouva qu'il avait raison. Ce qu'on dit de plus fort contre lui, c'est que son livre était le portrait du peintre; mais aucun de ceux qui avaient été ses ennemis du temps de la Fronde ne fut assez effronté pour s'exposer au ridicule de déférer son livre à un tribunal.

Un homme recommandable par ses mœurs et par son esprit* vient cent ans après; il étend la pensée du duc de La Rochefou- cauld dans un livre systématique. On se déchaîne contre ce nou- veau venu, on lui fait un procès criminel au parlement de Paris : c'est un vacarme terrible. Au bout de deux ans on ne s'en souvient plus; c'est une preuve qu'il ne fallait pas fatiguer ce tribunal de cet inutile procès.

Un homme de lettres éloquent compose un roman moral de Bélisaire. Cette morale démontre qu'il faut regarder Dieu comme un père, et non comme un tyran capricieux; que nous devons notre haine au crime, et notre indulgence aux erreurs.

Il y a un chapitre xv qui est applaudi surtout par plus d'une tête couronnée. Des théologiens inconnus- s'élèvent contre ce chapitre xv; ils soulèvent des corps entiers; ils aigrissent des

��1. Helvétius, auteur du livre De l'Esprit: voyez XX, page 321 ; XXVIII, 491.

2. Riballier etCoger; voj'ez tome X, page 153; XXI, 3j7; XXVI, 449.

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