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ET DE L'HUMANITÉ. 547

nites. Les chimères s'oublient, mais les barbaries atroces restent gravées dans la mémoire des hommes à la dernière postérité.

Des évêques espagnols, l'un nommé Itace, l'autre Idace, et quelques évêques gascons, ayant fortement ergoté contre les évêques priscilliens Instance etSalvien, et par conséquent possédés du démon de la haine, suivirent leurs antagonistes des Pyrénées jusqu'à Trêves. Il y avait alors dans Trêves un tyran des Gaules nommé Maxime, qui s'était mis en tête de détrôner l'empereur Thêodose, mais qui n'y réussit pas. Ce Maxime était un barbare, débauché, ivrogne, avare, et dissipateur; un vrai soldat, ne sa- chant point de quoi il était question, s'en souciant encore moins; d'ailleurs dévot, et fait pour être gouverné par les prêtres, pourvu qu'il gagnât à les protéger.

Les évêquesespagnols et gascons se cotisèrent pour lui donner de l'argent, tant ils étaient acharnés à la bonne cause. Maxime ne manqua pas de faire pendre les trois hérétiques par son parlement. Saint Martin, qui se trouva là par hasard, ayant inter- cédé pour les condamnés, on le menaça de le pendre lui-même, et il s'enfuit au plus vite.

Dès que les ergoteurs furent si loyalement en curée, ils ne discontinuèrent plus d'aller à la chasse des hérétiques et des impies. Ils crièrent allali d'un bout de l'Europe à l'autre. Ils changèrent quelques princes en chiens de chasse qui plongèrent leurs gueules dans le sang des bêtes relancées par eux. Dès que les princes résistèrent, ils furent immolés eux-mêmes, depuis Henri IV l'empereur jusqu'à l'autre Henri IV de France, le meilleur des rois et des hommes.

C'est pendant ces siècles d'ignorance, de superstition, de fraude, et de barbarie, que l'Église, qui savait lire et écrire, dicta des lois à toute l'Europe, qui ne savait que boire, combattre, et se confesser à des moines. L'Église fit jurer aux princes qu'elle oignit d'exter- miner tous les hérétiques ; c'est-à-dire qu'un souverain fit ser- ment, à son sacre, de tuer presque tous les habitants de l'univers ^ car presque tous avaient une religion diflerente de la sienne.

L'hérésie fut le plus grand des crimes ; et aujourd'hui même encore, chez une aimable nation, notre voisine, le code pénal de tous les parlements commence par l'hérésie : cela s'appelle crime de lèse-majesté divine au premier chef. Autrefois on brûlait

��1. Louis XIII et Louis XIV firent ce serment à leur sacre, mais ils publièrent des déclarations pour avertir que leurs sujets de la religion réformée n'étaient pas compris dans le serment d'exterminer les hérétiques. (K.)

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