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ET DE L'HUMANITÉ. 539

nom ridicule de quakers, ont fui et détesté la guerre pendant plus d'un siècle, jusqu'au jour où ils ont été forcés par leurs frères les chrétiens de Londres de renoncer à cette prérogative, qui les distinguait de presque tout le reste de la terre. On peut donc à toute force se passer de tuer des hommes.

Mais voilà des citoyens qui vous crient : Un hrutal m'a crevé un œil ; un harhare a tué mon frère ; vengez-nous ; donnez-moi un œil de l'agresseur qui m'a éborgné ; donnez-moi tout le sang du meurtrier par qui mon frère a été égorgé ; exécutez l'ancienne, l'universelle loi du tahon.

Ne pouvez-vous pas leur répondre : Quand celui qui vous a fait borgne aura un œil de moins, en aurez-vous un de plus? Quand j'aurai fait mourir dans les tourments celui qui a tué votre frère, ce frère sera-t-il ressuscité? Attendez quelques jours; alors votre juste douleur aura perdu de sa violence; vous ne serez pas fâché de voir de l'œil qui vous reste une grosse somme d'argent que je vous ferai donner par le mutileur : elle vous fera passer doucement votre vie, et de plus il sera votre esclave pen- dant quelques années, pourvu que vous lui laissiez ses deux yeux pour vous mieux servir pendant ce temps-là.

A l'égard de l'assassin de votre frère, il sera votre esclave tant qu'il vivra. Je le rendrai toujours utile à vous, au public, et à lui-même.

C'est ainsi qu'on en use en Russie depuis quarante années. On force les criminels qui ont outragé la patrie à servir toujours la patrie ; leur supplice est une leçon continuelle, et c'est depuis ce temps-là que cette vaste partie du monde n'est plus barl)are.

A Dieu ne plaise que je fasse l'éloge des mœurs atroces qui régnèrent en Europe dans la décadence de l'empire romain et au temps de Charlemagne! Quiconque avait quatre cents écus dont il ne savait que faire pouvait tuer à son choix un antrustion ^ ou un évêque. Chaque assassinat avait son prix fait. En Pologne, jusqu'à nos derniers temps, tout pauvre gentillàtre, elector rcgum et destructor hjrannorum, pouvait assassiner noblement un culti- vateur, un serf de glèbe, pour environ trente francs de notre

1. C'étaient des principaux officiers ou des favoris du prince, qui recevait leur serment de fidélité, et s'engageait de son côté à les protéger et défendre. Ce mot vient de trustes, de la basse latinité, qui veut dire foi, fidélité, et tirait son origine du teuton trost ou trust. On peut apprécier la considération dont jouissaient ces oftkiers par la différence de l'amende imposée à celui qui avait mutilé {castra- vcrat) ou tué un homme salique réputé noble, ou un antrustion. Il n'en coûtait pour le premier que 000 sous de ce temps-là, et 1,800 pour le second. Voyez le Glossaire de Bucsinge. (B.)

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