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D’ÉVHÉMÈRE.

terre, une étendue d’environ cent trente millions de toises cubiques d’une matière un peu marneuse, qui ressemble à du talc pulvérisé[1] ; les cultivateurs s’en servent pour fumer leurs champs. On trouve dans cette mine excavée, souvent imbibée de pluie et d’eau de source, plusieurs dépouilles d’animaux, soit reptiles, soit crustacés, soit testacés.

Un virtuose, potier de son métier[2] qui s’intitulait inventeur des figulines rustiques du roi des Gaules, prétendit que cette mine de mauvais talc mêlé d’une terre marneuse n’était qu’un amas de poissons et de coquilles, qui étaient là du temps du déluge de Deucalion. Quelques philosophes ont adopté ce système ; ils se sont seulement écartés de la doctrine du potier, en soutenant que ces coquilles devaient avoir été déposées dans ce souterrain plusieurs milliers de siècles avant notre déluge grec[3].

On leur a répondu : Si un déluge universel a porté dans cet endroit cent trente millions de toises cubiques de poissons, pourquoi n’en a-t-il pas porté la millième partie dans les autres terrains également éloignés de l’Océan ? Pourquoi ces mers, toutes couvertes de marsouins, n’ont-elles pas vomi, sur ces rivages seulement, une douzaine de marsouins ?

Il faut avouer que ces philosophes n’ont point éclairci cette difficulté ; mais ils sont demeurés fermes dans l’idée que la mer avait couvert les terres, non-seulement jusqu’à huit cent quarante stades au delà de son rivage, mais qu’elle s’est avancée bien plus loin. Les disputes n’ont point de bornes. Enfin le philosophe gaulois Telliamed[4] a soutenu que la mer avait été partout pendant cinq ou six cent mille siècles, et qu’elle avait produit toutes les montagnes.

Callicrate.

Vous me dites des choses bien extraordinaires ; tantôt vous me faites admirer vos barbares, tantôt vous me forcez à en rire. Je croirais plus aisément que les montagnes ont fait naître les mers que je ne penserais que les mers ont les montagnes pour filles.

Évhémère.

Si, selon Telliamed, les courants de l’Océan et les marées ont

  1. Voyez, tome XXVII, page 150, ce que Voltaire a dit du falun.
  2. Bernard de Palissy ; voyez tome XXVII, pages 154 et 223.
  3. Voyez les notes de la Dissertation sur les changements arrivés dans notre globe, tome XXIII, page 219.
  4. De Maillet, dont l’ouvrage posthume est intitulé Telliamed, ou Entretiens d’un philosophe indien avec un missionnaire français sur la diminution de la mer, mis en ordre sur les mémoires de M. de Maillet, par A. G. (A. Guer) ; Amsterdam, Lhonoré, 1748, deux volumes in-8o ; voyez tome XXI, page 186.