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DIALOGUES

Il dit ailleurs : « Je pense...[1] que les molécules organiques renvoyées de toutes les parties du corps dans les testicules et dans les vésicules séminales du mâle, et dans les testicules ou dans telle autre partie qu’on voudra de la femelle, y forment la liqueur séminale, laquelle dans l’un et l’autre sexe est, comme l’on voit, une espèce d’extrait de toutes les parties du corps... ; et lorsque dans le mélange qui s’en fait il se trouve plus de molécules organiques du mâle que de la femelle, il en résulte un mâle ; au contraire, s’il y a plus de particules organiques de la femelle que du mâle, il se forme une petite femelle. »

Callicrate.

Si cela est comme il le dit, un enfant pourra donc naître ayant deux tiers d’homme et un tiers de femme, et rien ne sera plus commun que des hermaphrodites, quand les femmes répandront autant de liqueur séminale que les hommes ; mais malheureusement vous savez qu’il y a plusieurs femmes qui n’en fournissent point, qui ont en horreur les caresses de leurs époux, et qui cependant en ont plusieurs enfants.

Ce système d’ailleurs, qui m’avait tant séduit, et dans lequel je voyais beaucoup de sagacité et d’imagination, commence à m’embarrasser. Je ne puis me former une idée nette de ces moules intérieurs. Si les enfants sont dans ces moules, quel besoin de liqueur prolifique ? Et s’ils sont formés de cette liqueur, quel besoin de ces moules ? De plus, il me semble fort extraordinaire que des moules organiques, qui n’ont point nourri notre corps, deviennent ensuite un corps humain qui a le mouvement et la pensée, de sorte qu’une molécule organique peut devenir un Alexandre ou une goutte d’urine. Dites-moi comment ce système a été reçu.

Évhémère.

Ceux qui creusent les nouveautés philosophiques l’ont combattu et l’ont décrié, ceux qui ne creusent point l’ont rejeté sur les simples apparences ; mais tous ont donné des éloges à l’Histoire naturelle de l’homme depuis son enfance jusqu’à sa mort, décrite par le même auteur. Ce petit ouvrage nous apprend physiquement à vivre et à mourir ; c’est l’histoire de toute l’espèce humaine fondée sur des faits connus, au lieu que les moules organiques ne sont qu’une hypothèse. Ainsi il faut, je crois, nous résoudre à ignorer notre origine : nous sommes comme les Égyptiens, qui tirent tant de secours du Nil et qui ne connaissent pas encore sa source ; peut-être la découvriront-ils un jour.

  1. Buffon, chap. iv, p. 85.