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DIALOGUES

dont je vous parle est entre l’Illyrie et l’Italie. Loin de ressembler à Rome, elle lui est souvent un peu contraire, surtout dans la manière de penser. La république de Rome passe pour être envahissante, et l’illyrienne ne veut point être envahie. Rome surtout a une singulière manie : elle veut que tout le monde pense comme elle ; l’illyrienne, pour penser, ne consulte que sa raison. Leéliga a eu le plaisir de faire voir aux sages de l’État tout l’artifice du ciel. Il a été l’interprète de Dieu auprès des plus respectables hommes de la terre. Cette scène s’est passée sur la plate-forme d’une tour[1] qui domine sur la mer Adriatique. C’était le plus beau spectacle qu’on donnera jamais. On y jouait la nature. Leéliga représentait la terre ; le chef de la république, Sagredo[2], faisait le rôle du soleil. D’autres étaient Vénus, Mercure, la lune : on les faisait marcher aux flambeaux, dans le même ordre que ces astres tournent dans les cieux.

Alors qu’ont fait les druides ? Ils ont fait condamner le vieux philosophe à jeûner au pain et à l’eau, et à réciter tous les jours un certain nombre de lignes qu’on apprend aux enfants, pour expier les vérités qu’il avait démontrées.

Callicrate.

La ciguë d’Athènes est pire. Chaque pays a ses druides. Ceux d’Étrurie se sont-ils repentis comme ceux d’Athènes ?

Évhémère.

Oui ; ils rougissent à présent quand on leur dit que le soleil ne court pas, et ils permettent qu’on suppose qu’il est le centre du monde planétaire, pourvu qu’on ne pose pas cette vérité en fait. Si vous assuriez que le soleil reste à la place où Dieu l’a mis[3], vous seriez longtemps au pain et à l’eau, après quoi on vous forcerait d’avouer à haute voix que vous êtes un impertinent.

Callicrate.

Ces druides-là sont d’étranges gens.

  1. Celle de Saint-Marc, haute de 316 pieds.
  2. Sagredo et Salviati, nobles par la naissance, se montrèrent encore plus nobles par la protection qu’ils accordèrent à Galilée, et c’est pour immortaliser sa reconnaissance que le philosophe de Pise, qui était deux fois noble aussi, les introduisit comme interlocuteurs dans ses Dialoghi delle scienze nuove. (Cl.)
  3. Le P. Philippe Anfossi, dans ses Fisiche Revoluzioni della natura, Rome, 1820, in-8o, se vante d’avoir empêché la publication des Éléments d’Astronomie, de Settèle, qui y exposait le système de Copernic et de Galilée sur le mouvement de la terre et l’immobilité du soleil (voyez Revue encyclopédique, tome VIII, page 125). Ce ne fut qu’en 1821 que le saint-office permit l’impression de l’ouvrage de Settèle ; voyez Journal général de littérature étrangère, 1821, page 20. (B.)