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Gérare. Les habitans de ce lieu l’interrogeant sur sa femme, il leur répondit, c’est ma sœur [1] : car il craignait d’avouer qu’elle était sa femme, pensant qu’ils le tueraient à cause de la beauté de sa femme. Et comme ils avaient demeuré plusieurs jours en ce lieu, Abimeleck, roi des philistins, ayant vu par la fenêtre Isaac qui caressoit sa femme ; il le fit venir, et lui dit : il est clair qu’elle est ta femme ; pourquoi as-tu menti en disant qu’elle est ta sœur ? Isaac répondit : j’ai eu peur qu’on ne me tuât, à cause d’elle. Abimeleck lui dit : pourquoi nous as-tu trompés ? Il s’en est peu fallu que quelqu’un n’ait couché avec ta femme [2], et tu nous aurais attiré un grand péché. Et il fit une ordonnance à tout le peuple, disant : quiconque touchera la femme de cet homme, mourra de mort. Or Isaac sema dans cette terre ; et dans la même année il recueillit le centuple [3]. Et le seigneur le bénit, et il s’enrichit, profitant de plus en plus, et devint très grand. Et il eut beaucoup de brebis, et de grands troupeaux, et de serviteurs, et de servantes. Les philistins, lui portant beaucoup d’envie, ils boucherent avec de la terre tous les puits que son pere Abraham avait creusés. Abimeleck lui même dit à Isaac : retire-toi de nous ; car tu es devenu plus puissant que nous. Et Isaac s’en allant vint au torrent de Gérar et y habita, et y fit de nouveau creuser les puits que les gens de son pere y avaient creusés. Et ayant creusé dans le torrent, ils y trouverent de l’eau vive [4]

  1. voilà le même mensonge qu’on reproche à Abraham et c’est pour la troisieme fois. C’est dans le même pays ; c’est le même Abimeleck, à ce qu’il paraît ; car il a le même capitaine de ses armées que du temps d’Abraham. Il enleve Rébecca, comme il avait enlevé Sara sa belle-mere. Mais si cela est, il y aura eu quatre-vingts ans, selon le comput hébraïque, que cet Abimeleck avait enlevé Sara, quoique ce comput soit encore très-fautif. Supposons qu’il eut alors trente ans : il y avait donc quatre-vingts ans entre le mensonge d’Abraham et le mensonge d’Isaac : donc Abimeleck avait alors cent-dix ans au temps du voyage d’Isaac. (Note de Volataire)
  2. il semble toujours, par le texte, que les gens de Gérar reconnaissaient le même dieu qu’Isaac et Abraham. Nous marchons à chaque ligne sur des difficultés insurmontables à notre faible entendement. (Id.)
  3. on ne voit pas comment Isaac put semer dans une terre qui n’était pas à lui. On voit encore moins comment il put semer dans un désert de sable, tel que celui de Gérar. On ne comprend pas davantage comment il put avoir une récolte de cent pour un. Les plus fertiles terres de l’égypte, de la Mésopotamie, de la Sicile, de la Chine, ont rarement produit vingt-cinq pour un : et quiconque aurait de telles récoltes posséderait des richesses immenses. Les contes qu’on nous fait du terrein de Babylone, qui produisait trois-cents pour un, sont absurdes. Il arrive souvent que dans un jardin un grain de bled, tombé par hazard, en produise une centaine et davantage ; mais jamais cela n’est arrivé dans un champ entier. (Id.)
  4. il n’y a point de torrent dans ce pays, si ce n’est quelques filets d’eau sau-