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D’ÉVHÉMÈRE.

règnent dans les planètes qui portent leur nom, comme les rois d’Égypte, de Perse, et des Indes, règnent chacun dans leur district ?

Évhémère.

Je vous ai déjà insinué que je n’en crois rien ; et voici ma raison. Soit que le soleil tourne autour de nos planètes et de notre terre, comme le croit le vulgaire, qui ne s’en rapporte qu’à ses yeux ; soit que la terre et les planètes tournent elles-mêmes autour du soleil, comme les nouveaux Chaldéens[1] l’ont soupçonné, et comme il est infiniment plus vraisemblable, il est toujours certain que les mêmes torrents de lumière, dardés continuellement du soleil jusqu’à Saturne, parviennent à tous ces globes dans des temps proportionnels à leur éloignement. Il est certain que ces traits de lumière se réfléchissent de la surface de Saturne à nous, et de nous à lui, avec une vitesse toujours égale. Or une fabrique si immense, un mouvement si rapide et si uniforme, une communication de lumière si constante entre des globes si prodigieusement éloignés, tout cela paraît ne pouvoir être établi que par la même Providence. S’il y a plusieurs dieux également puissants, ou ils auront des vues différentes, ou ils auront la même : s’ils ne sont point d’accord, il n’y aura que le chaos ; s’ils ont tous le même dessein, c’est comme s’il n’y avait qu’un seul Dieu. Il ne faut pas multiplier les êtres, et surtout les dieux, sans nécessité[2].

Callicrate.

Mais si le grand Démiourgos, l’Être suprême, avait fait naître des dieux subalternes pour gouverner sous lui ; s’il avait confié notre soleil à son cocher Apollon, une planète à la belle Vénus, une autre à Mars, nos mers à Neptune, notre atmosphère à Junon : cette espèce d’hiérarchie vous paraîtrait-elle si ridicule ?

Évhémère.

J’avoue qu’il n’y a rien là d’incompatible. Il se peut, sans doute, que le grand Être ait peuplé les cieux et les éléments de créatures supérieures à nous ; c’est un si vaste champ, c’est un si beau spectacle pour notre imagination, que toutes les nations connues ont embrassé cette idée. Mais n’admettons, croyez-moi, ces demi-dieux imaginaires que quand ils nous seront démontrés. Je ne connais dans l’univers, par ma raison, qu’un seul Dieu

  1. Copernic et Galilée.
  2. Voltaire répète souvent cette maxime ; voyez tome XIX, pages 393, 595 ; et XXVIII, 548.