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D’ÉVHÉMÈRE.
Évhémère.

Ou vous m’entendez fort mal, ou vous m’expliquez très-malignement. Je ne prétends point que le maître de la nature se mêle des détails, quoique je pense qu’aucun détail ne le fatiguerait ni ne l’abaisserait ; je pense qu’il a établi des lois générales, immuables, éternelles, par lesquelles les hommes et les animaux se conduiront toujours : je vous l’ai déjà dit assez clairement.

Diagoras[1] auteur du Système de la Nature, dit dans sa longue déclamation à peu près la même chose que vous. Voici ses paroles dans son chapitre iv du tome II : « Votre Dieu est sans cesse occupé à produire et à détruire ; par conséquent il ne peut être appelé immuable quant à sa façon d’exister. »

Diagoras prétend que nous composons ainsi notre Dieu de qualités contradictoires : il le traite de fantôme affreux et ridicule ; mais qu’il me permette de lui dire qu’il y a bien de la hardiesse à décider aussi légèrement sur un sujet si grave. Produire et détruire alternativement dans tous les siècles, par des lois toujours constantes, ce n’est pas changer au hasard ; c’est, au contraire, être toujours semblable à soi-même. Dieu donne la vie et la mort ; mais il les donne à tout le monde : il a rendu la vie et la mort nécessaires ; il est immuable en exécutant toujours ce plan de la création, en gouvernant toujours d’une manière uniforme. S’il faisait vivre éternellement quelques hommes, on pourrait alors dire peut-être qu’il n’est pas immuable ; mais quand tous naissent pour mourir, son immutabilité n’est que trop constatée.

Callicrate.

Je vous avoue que Diagoras se trompe en ce point ; mais n’a-t-il pas grande raison quand il reproche à certains Grecs de représenter Dieu comme un être ridiculement vain, qui a fait le monde pour sa gloire, pour se faire applaudir ; de le peindre comme un maître dur et vindicatif qui punit les plus légères désobéissances par des tortures éternelles ; d’en faire un père injuste et aveugle qui favorise par caprice quelques-uns de ses enfants, et destine tous les autres à un malheur sans fin ; qui fait quelques aînés vertueux pour les récompenser d’une vertu à laquelle ils étaient nécessités, et une foule de cadets scélérats pour les punir des crimes qu’ils ne pouvaient se dispenser de

  1. C’est-à-dire le baron d’Holbach, mort le 21 janvier 1789. Le véritable Diagoras, avec lequel d’Holbach a d’ailleurs plus d’un rapport, n’était pas athée ; mais il avait manqué d’être déchiré en pièces par les Athéniens, vers l’an 400 avant J.-C., pour avoir ri des mystères d’Éleusis. (Cl.)