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D’ÉVHÉMÈRE.
Callicrate.

J’aime mieux votre Dieu que tous les autres ; mais il me reste bien des scrupules : je vous prierai de les lever dans notre premier entretien.

Évhémère.

Je ne vous donnerai jamais mes opinions que comme des doutes.



QUATRIÈME DIALOGUE.


Si un dieu qui agit ne vaut pas mieux que les dieux d’Épicure,
qui ne font rien.


Callicrate.

Je suis convaincu que toute la terre, et ce qui l’environne, le genre humain et le genre animal, et tout ce qui est au delà de nous, l’univers en un mot, ne s’est pas formé lui-même, et qu’il y règne un art infini ; je reçois avec respect l’idée d’un artisan unique, d’un maître suprême, que la nombreuse secte des épicuriens rejette. Je suppose que ce souverain de la nature est, à plusieurs égards, ce qu’était le Dieu de Timée, le Dieu d’Ocellus Lucanus et de Pythagore : il n’a pas créé la matière du néant, car le néant, comme vous savez, n’a point de propriétés ; rien ne vient de rien, rien ne retourne à rien[1] : je conçois que l’universalité des choses est émanée de ce Dieu, qui seul est par lui-même, et dont tout est l’ouvrage ; il a tout arrangé suivant les lois universelles qui résultent de sa sagesse autant que de sa puissance ; j’admets une grande partie de votre philosophie, quoiqu’elle révolte la plupart de nos sages, mais deux grandes difficultés m’arrêtent : il me semble que vous ne faites votre Dieu ni assez libre ni assez juste.

Il n’est point libre, puisqu’il est l’être nécessaire, de qui l’immensité des choses est émanée nécessairement ; il n’est point juste, car la plupart des gens de bien sont persécutés pendant leur vie, et vous ne me dites point qu’on leur rende justice quand ils ne sont plus, et que les scélérats soient punis après leur mort. Les religions grecque et égyptienne ont un grand avantage sur votre théologie. Elles ont imaginé des peines et des récompenses.

  1. C’est le vers de Perse, III, 84 :
    De nihilo nihil, in nihilum nil posse reverti.

    Voyez tome XIX, page 227 ; et XXIV, 57.