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DIALOGUES

m’avouerez que vous ne pouvez entendre par ce terme vague, nature, qu’un assemblage de choses qui existent, et dont la plupart n’existeront pas demain : certes, des arbres, des pierres, des légumes, des chenilles, des chèvres, des filles, et des singes, ne composent point un être absolu, quel qu’il soit ; des effets qui n’existaient point hier ne peuvent être la cause éternelle, nécessaire et productive. Votre nature, encore une fois, n’est qu’un mot inventé pour signifier l’universalité des choses.

Pour vous faire voir à présent que l’art a tout fait, observez seulement un insecte, un limaçon, une mouche, vous y verrez un art infini qu’aucune industrie humaine ne peut imiter : il faut donc qu’il y ait un artiste infiniment habile, et c’est ce que les sages appellent Dieu.

Callicrate.

Cet artisan que vous supposez est, selon nos épicuriens, la force secrète qui agit éternellement dans cet assemblage toujours périssant et toujours reproduit que nous appelons nature.

Évhémère.

Comment une force peut-elle être répandue dans des êtres qui ne sont plus, et dans ceux qui ne sont pas encore nés ? Comment cette force aveugle peut-elle avoir assez d’intelligence pour former des animaux sentants ou pensants, et tant de soleils qui probablement ne pensent point ? Vous sentez qu’un tel système n’étant fondé sur aucune vérité antécédente, n’est qu’un rêve produit par l’imagination en délire : la force secrète dont vous parlez ne peut subsister que dans un être assez puissant et assez intelligent pour former des animaux intelligents ; dans un être nécessaire, puisque sans son existence il n’y aurait rien ; dans un être éternel, puisque existant par lui-même, on ne peut assigner de moment où il n’ait pas existé ; dans un être bon, puisque étant la cause de tout, rien ne peut avoir fait entrer le mal dans lui. Voilà ce que nous autres stoïciens nous appelons Dieu : voilà le grand Être à qui nous nous efforçons de ressembler par la vertu, autant que de faibles créatures peuvent approcher de l’ombre de leur Créateur.

Callicrate.

Et voilà ce que nos épicuriens vous nient. Vous êtes comme les sculpteurs : ils font à coups de ciseau une belle statue, et ils l’adorent. Vous forgez votre Dieu, et puis vous lui donnez le titre de bon ; mais regardez seulement notre Etna[1], la ville de Catane,

  1. Ce nom fut donné à Catane par Hiéron Ier, qui y mourut l’an 467 avant J.-C. (Cl.)