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SUR L'ESPRIT DES LOIS. 463

juges et parties ; nous en appelons à Dieu et à notre épée. Edouard en ce genre devint le meilleur avocat de l'Europe, et Dieu fut pour lui.

PETITE DIGRESSION SUR LE SIÈGE DE CALAIS'.

On nous peint ce prince comme le modèle de la bravoure et de la galanterie, ayant tout le hou sens dont les Anglais se piquaient, et tous les agréments qu'on louait dans les Fran- çais : politique et vif, plein de valeur et de grâces, opiniâtre et généreux. On lui reproche qu'au siège de Calais il exigea que six bourgeois vinssent lui demander pardon la corde au cou ; mais il faut songer que cette triste cérémonie était d'usage avec ceux qu'on regardait comme ses sujets. Je n'ai jamais pu me persuader que le même roi qui les renvoya avec des présents eût en effet conçu le dessein de les faire étrangler, puisque dans le même temps, dès qu'il fut maître de Calais, il traita avec une générosité sans exemple des chevaliers français qui voulurent rentrer dans Calais par trahison. Ces chevaliers, Charny et Ribaumont, malgré les lois de la guerre, prirent le temps d'une trêve pour ourdir leur perfidie. Ils corrompirent le gouverneur, Edouard, qui était alors à Londres, et qui en fut informé, daigna venir lui-même dans Calais avec son jeune fils, le fameux prince Noir, reçut les armes à la main les Français aux portes de la ville, s'attacha principa- lement à Ribaumont, le combattit longtemps comme dans un tournoi, l'abattit et en fut abattu, le prit enfin prisonnier, lui et tous ses compagnons. Quel châtiment fit-il de ces braves, plus dangereux que six bourgeois de Calais, et, sans doute, plus cou- pables? Il les fit souper avec lui, et détacha de son bonnet un tour de perles dont il orna le bonnet de Ribaumont. Il fit plus, il se contenta de chasser le gouverneur de Calais qui l'avait trahi. C'était un Italien qui trahit en même temps le roi de France Phi- lippe, et Philippe le fit écarteler. Je demande des deux rois quel était le généreux, quel était le héros.

Je sais que depuis peu en France, dans des conjonctures très- malheureuses, on 2 a voulu flatter la nation en lui peignant la prise de Calais comme un événement glorieux pour elle après la bataille de Crécy, et comme déshonorant pour Edouard. Si on voulait consoler et flatter le gouvernement français, ce n'était

��•1. Voyez tome XII, page 20.

2. De Bello}', dans sa tragédie du Siège de Calais.

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