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Or Sara, ayant vécu cent vingt-sept ans, mourut dans la ville d’Arbée, qui est Hébron dans la terre de Chanaan[1] ; et Abraham vint pour crier, et pour la pleurer ; et s’étant levé, après avoir fait le devoir des funérailles, il dit aux enfants de Heth : Je suis chez vous étranger ; donnez-moi droit de sépulture chez vous, afin que j’enterre ma morte. Et les fils de Heth lui répondirent en disant : Tu es prince de Dieu chez nous, enterre ta morte dans nos plus beaux sépulcres ; personne ne t’en empêchera. Abraham s’étant levé, et ayant adoré le peuple, il leur dit : S’il plaît à vos âmes que j’enterre ma morte. Parlez pour moi à Éphron, fils de Séor ; qu’il me donne sa caverne double à l’extrémité de son champ, qu’il me la cède devant vous, et que je sois en possession du sépulcre… Et Éphron dit : La terre que tu demandes vaut quatre cents sicles d’argent ; c’est le prix entre toi et moi ; ensevelis ta morte[2].


    terre comme descendantes d’Abraham, quoiqu’elles n’en descendissent point. On peut entendre par toutes les nations de la terre la postérité de Jacob, qui fut assez nombreuse. Tous les incrédules regardent ces histoires sacrées comme des contes arabes, inventés d’abord pour bercer les petits enfants, et n’ayant aucun rapport à l’essentiel de la loi juive. Ils disent que ces contes, ayant été peu à peu insérés dans le catalogue des livres juifs, devinrent sacrés pour ce peuple, et ensuite pour les chrétiens, qui lui succédèrent. (Note de Voltaire.)

  1. Si Sara mourut à cent vingt-sept ans, et si elle mourut immédiatement après qu’Abraham avait voulu égorger son fils unique Isaac, ce fils avait donc trente-sept ans, et non pas treize, quand son père voulut l’immoler au Seigneur : car sa mère avait accouché de lui à quatre-vingt-dix ans. Or la foi et l’obéissance d’Isaac avaient été encore plus grandes que celles d’Abraham, puisqu’il s’était laissé lier et étendre sur le bûcher par un vieillard de cent ans pour le moins. Toutes ces choses sont au-dessus de la nature humaine telle qu’elle est aujourd’hui. Saint Paul, dans l’Épître aux Galates, dit que Sara est la figure de l’Église. Le R. P. dom Calmet assure qu’Isaac est la figure de Jésus-Christ, et qu’on ne peut pas s’y méprendre. (Id.)
  2. On voit à la vérité qu’Abraham, tout grand prince qu’il était, ne possédait pas un pouce de terre en propre, et on ne conçoit pas comment, avec tant de troupes et tant de richesses, il n’avait pu acquérir le moindre terrain. Il faut qu’il achète une caverne pour enterrer sa femme : on lui vend un champ et une caverne pour quatre cents sicles. Le sicle a été évalué à trois livres quatre sous de notre monnaie. Ainsi quatre cents sicles vaudraient douze cent quatre-vingts livres. Cela paraît énormément cher dans un pays aussi stérile et aussi pauvre que celui d’Hébron, qui fait partie du désert dont le lac Asphaltite est entouré, et où il ne paraît pas qu’il y eût le moindre commerce. Il est dit qu’il paya ces quatre cents sicles en bonne monnaie courante*. Mais non-seulement il n’y avait point alors de monnaie dans Chanaan, mais jamais les Juifs n’ont frappé de monnaie à leur coin. Il faut donc entendre que ces quatre cents sicles avaient la valeur de la monnaie qui courait du temps que l’auteur sacré écrivait. Mais c’est encore une difficulté, puisqu’on ne connaissait point la monnaie au temps de Moïse. (Id.)

    * Voyez tome XX, page 426.