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SUR L'ESPRIT DES LOIS. 417

Le sultan des Turcs, et tout autre sultan, ne peut promettre qu'à ses sujets ou aux puissances voisines. Si ce sont des pro- messes à ses sujets, il n'y a point de serment. Si ce sont des traités de paix, il faut qu'il les observe, ou qu'il fasse la guerre. VAlco- ran ne dit dans un aucun endroit qu'on peut violer son ser- ment; et il dit en cent endroits qu'il faut le garder. Il se peut que, pour entreprendre une guerre injuste, comme elles le sont presque toutes, le Grand Turc assemble un conseil de conscience ; il se peut que quelques docteurs musulmans aient imité certains autres docteurs qui ont dit qu'il ne faut garder la foi ni aux infidèles ni aux hérétiques ^ Mais il reste à savoir si cette juris- prudence est celle des Turcs.

L'auteur de l'Esprit des Lois donne cette prétendue décision des cadis comme une preuve du despotisme du sultan. Il me semble que ce serait, au contraire, une preuve qu'il est soumis aux lois, puisqu'il serait obligé de consulter des docteurs pour se mettre au-dessus des lois. Nous sommes voisins des Turcs ; nous ne les connaissons pas. Le comte de Marsigli, qui a vécu si long- temps au milieu d'eux, dit qu'aucun auteur n'a donné une véri- table connaissance ni de leur empire, ni de leurs lois. Nous n'avons même eu aucune traduction tolérable de VAlcoi-an avant celle que nous a donnée l'Anglais Sale, en 113h. Presque tout ce qu'on a dit de leur religion et de leur jurisprudence est faux ; et les conclusions que l'on en tire tous les jours contre eux sont trop peu fondées. On ne doit, dans l'examen des lois, citer que les lois reconnues.

XIII.

« Dans les monarchies, les lois de l'éducation auront pour objet l'honneur ; dans les républiques, la vertu ; et dans le des- potisme, la crainte. » (Liv. IV, chap. i".)

J'oserais croire que l'auteur a trop raison, du moins en cer- tains pays. J'ai vu des enfants de valets de chambre à qui on disait: « Monsieur le marquis, songez à plaire au roi.» J'entendais dire que dans les sérails de Maroc et d'Alger on criait : « Prends garde au grand-eunuque noir ; » et qu'à Venise les gouvernantes disaient aux petits garçons : « Aime bien la république. » Tout cela se modifie de mille manières, et chacun de ces trois dictons pourrait produire un gros livre.

1. Voyez Essai sur les Mœurs chap. lxxxix, tome XII, pagi 95-96.

30. — MÉLANGES. IX. 27

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