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410 COMMENTAIRE

donnent plus les mêmes idées qu'ils donnaient autrefois : c'est à quoi Ton no saurait faire trop d'attention dans toutes ses lec- tures.

J'aurais désiré que l'auteur, ou quelque autre écrivain de sa force, nous eût appris clairement pourquoi la noblesse est l'es- sence du gouvernement monarchique ^ On serait porté à croire qu'elle est l'essence du gouvernement féodal, comme en Alle- magne, et de raristocratie, comme à Venise-.

��1. Voici le texte de Montesquieu {Esprit des Lois, livre II, chap. i\, sect. '2): « Elle (la noblesse) entre en quelque façon dans l'essence de la monarchie, dont la maxime est : Point de monarque, point de noblesse; point de noblesse, point de monarque; mais on a un despote. »

2. Il ne peut y avoir aucune autre différence entre le despotisme et la monar- chie que l'existence de certaines règles, de certaines formes, de certains prin- cipes, consacrés par le temps et l'opinion, et dont le monarque se fait une loi de ne pas s'écarter. S'il n'est lié que par son serment, par la crainte d'aliéner les esprits de sa nation, le gouvernement est monarchique ; mais s'il existe un corps, une assemblée, du consentement desquels il ne puisse se passer lorsqu'il veut déroger à ces lois premières; si ce corps a le droit de s'opposer à l'exécution de ces lois nouvelles, lorsqu'elles sont contraires aux lois établies : dès lors il n'y a plus de monarchie, mais une aristocratie. Le monarque, pour être juste, est censé devoir respecter les règles consacrées par l'opinion, tandis que le despote n'est obligé de respecter que les premiers principes du droit naturel, la religion, les mœurs. La différence est moins dans la forme de la constitution que dans l'opinion des peuples, qui ont une idée plus ou moins étendue de ce qui constitue les droits de l'homme et du citoyen.

Or il est difficile, en admettant cette explication, de deviner pourquoi il faut qu'il y ait dans une monarchie un corps d'hommes jouissant de privilèges héré- ditaires. Les privilèges sont une charge de plus pour le peuple, un découragement pour tout homme de mérite qui ne fait point partie de ce corps. M. de Montes- quieu pouvait-il croire que, dans un pays éclairé, un homme sans noblesse, mais ayant de l'éducation, n'aurait pas autant de noblesse d'âme, d'horreur pour les bassesses, qu'un gentilhomme ? Croyait-il que la connaissance des droits de l'hu- manité ne donne pas autant d'élévation que celle des prérogatives de la noblesse? jVe vaudrait-il pas mieux chercher à donner aux âmes des hommes de tous les états plus d'énergie, que de vouloir conserver dans celles des nobles quelques restes de l'orgueil de leur ancienne indépendance? Ne serait-il point plus utile au peuple d'une monarchie de chercher les moyens d'y établir un ordre plus simple, au lieu d'y conserver soigneusement les restes de l'anarchie?

Il est sûr que dans toute monarchie modérée, où les propriétés sont assurées, il y aura des familles qui, ayant conservé des richesses, occupé des places, rendu des services pendant plusieurs générations, obtiendront une considération héré- ditaire ; mais il y a loin de là à la noblesse, à ses exemptions, à ses prérogatives, aux chapitres nobles, aux tabourets, aux cordons, aux certificats des généalogistes, à toutes ces inventions nuisibles ou ridicules dont une monarchie peut, sans doute, se passer.

L'auteur de cette note prend la liberté d'assurer ses lecteurs, s'il en a, qu'en plaidant la cause du bonheur du peuple contre la vanité des nobles, ce ne sont point du tout ses intérêts qu'il défend ici. (K.)

— Condorcet, auteur de cette note, était marquis.

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