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Il ne se contente pas de trois volumes qu’il nous donne ; il nous en promet encore neuf : c’est une grande générosité envers le public. M. Guérin devrait bien se contenter de nous avoir appris qu’Orphée et Loth sont la même chose, et de nous l’avoir prouvé en observant qu’Orphée était suivi par les animaux, et que Loth, ayant des troupeaux, était suivi par les animaux aussi ; que, de plus, le nom grec d’Orphée est en arabe le même que celui de Loth, car le mot araf, selon la Bibliothèque orientale[1], signifie les limbes entre le paradis et l’enfer : donc Loth et Orphée sont évidemment le même personnage. On peut dire ce qu’on a dit en pareille occasion : C’est puissamment raisonner.

Toutes les pages du livre de M. Guérin sont dans ce goût. Nous exhortons tous ceux qui veulent se former l’esprit et le cœur, comme on dit, à lire le paragraphe dans lequel ce savant auteur démontre que le phénix des Égyptiens, qui renaît de ses propres cendres, n’est autre chose que le patriarche Joseph, qui fait les obsèques de son père le patriarche Jacob. Mais nous exhortons aussi le savant auteur à daigner traiter avec plus d’indulgence et de politesse ceux qui, avant que son livre parût, ont été d’un avis différent du sien sur quelques points de la ténébreuse antiquité. M. Guérin Durocher, étant prêtre, devrait les instruire plus charitablement : il les appelle ignorants et sacrilèges. Ces épithètes révoltent quelquefois les pécheurs, au lieu de les corriger. On cause sans le savoir la perte d’une brebis égarée, qu’on aurait pu ramener au bercail par la douceur.

Il y a déjà dans les trois volumes de M. Guérin deux à trois mille articles de la force de ceux dont nous avons rendu compte. Que sera-ce quand nous aurons les douze tomes ? Nous ne pouvons deviner comment ce ramas énorme de fables expliquées fabuleusement, et ce chaos de chimères, peuvent venger l'histoire sainte. M. Guérin Durocher suppose toujours qu’il y a une conspiration contre l’Église, et que c’est à lui à venger l’Église. C’est ainsi que Saint-Sorlin Desmarets se disait envoyé de Dieu pour être à la tête d’une armée de trente mille hommes contre les jansénistes. Mais qui arme le bras vengeur de M. Guérin Durocher ? Qui attaque de nos jours l’Église, et qui se plaint d’elle ? Sommes-nous dans le temps où le jésuite Le Tellicr remplissait les prisons du royaume des partisans de la grâce efficace ? Sommes-nous dans ce siècle déplorable où des hommes indignes de leur saint ministère vendaient dans des cabarets la rémission des

  1. De d’Herbelot, 1697.