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Dès le point du jour, les deux anges pressèrent Loth de sortir, en lui disant : Prends ta femme et tes filles, de peur que tu ne périsses pour le crime de la ville. Comme Loth tardait, ils le prirent par la main, et ils prirent la main de sa femme et de ses filles, parce que le Seigneur les épargnait… et l’ayant tiré de sa maison, ils le mirent hors la ville, et lui dirent : Sauve ta vie ; ne regarde point derrière toi ; sauve-toi sur la montagne, de peur que tu ne périsses.

Le Seigneur donc fit tomber sur Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu qui tombait du ciel, et il détruisit ces villes et tout le pays d’alentour, et tous les habitants et toutes les plantes… La femme de Loth, ayant regardé derrière elle, fut changée en statue de sel[1]

Abraham, s’étant levé de grand matin, vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur ; et, jetant les yeux sur Sodome, sur Gomorrhe, et sur tout le pays d’alentour, il ne vit plus rien que des étincelles et de la fumée qui s’élevait de terre, comme la fumée d’un four[2]

    violer les deux anges. Mais pourquoi ne suivirent-ils pas les deux filles et leur beau-père ? Pourquoi ne viennent-ils pas faire des enfants à leurs deux épouses ? Et pourquoi laissent-ils ce soin à leur propre père, qui les engrosse étant ivre ?

    La proposition du père Loth, d’abandonner ses deux filles à la lubricité des Sodomites semble presque aussi insoutenable que la furieuse passion de tout ce peuple pour ces deux anges. (Note de Voltaire.)

  1. Cette métamorphose d’Edith, femme de Loth, en statue de sel, a été encore une grande pierre d’achoppement. L’historien Josèphe assure, dans ses Antiquités, qu’il a vu cette statue, et qu’on la montrait encore de son temps. L’auteur du livre de la Sagesse dit qu’elle subsiste comme un monument d’incrédulité. Benjamin de Tudèle, dans son fameux voyage, dit qu’on la voit à deux parasanges de Sodome. Saint Irénée dit qu’elle a ses règles tous les mois. Aujourd’hui les voyageurs ne trouvent rien de tout cela. Quand les Romains prirent Jérusalem, ils ne furent point curieux de voir la statue de sel. Ni Pompée, ni Titus, ni Adrien, n’avaient jamais entendu parler de Loth, de sa femme Édiih, et de ses deux filles, ni d’Abraham, ni d’aucun homme de cette famille. Le temps n’était pas encore venu où elle devait être connue des nations.

    Les commentateurs disent que la fable d’Eurydice est prise de l’histoire d’Edith, femme de Loth. D’autres croient que la fable de Niobé changée en statue fut pillée de ce morceau de la Genèse. Les savants assurent qu’il est impossible que les Grecs aient jamais rien pris des Hébreux, dont ils ignoraient la langue, les livres, et jusqu’à l’existence ; et que les Grecs ne purent savoir qu’il y avait une Judée que du temps d’Alexandre. L’historien Flavius Josèphe l’avoue dans sa réponse à Apion. Les Grecs, les Romains, les rois de Syrie, et les Ptolémée d’Egypte, surent que les Juifs étaient des barbares et des usuriers, avant de savoir qu’ils eussent des livres, (Id.)

  2. Le texte ne dit point que la ville de Sodome et les autres furent changées en un lac ; au contraire il dit « qu’Abraham ne vit que des étincelles, de la cendre, et de la fumée comme celle d’un four, dans toute cette terre ». Il faut donc que