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DU JOURNAL DE POLITIQUE, ETC. 381

Ces sortes d'ouvrages n'étaient pas inconnus chez les Anglais. Le fameux doyen Swift en avait composé plusieurs dans ce goût. On l'avait surnommé le llabelais de l'Angleterre ; mais il faut avouer qu'il était bien supérieur à Rabelais, Aussi gai et aussi plaisant que notre curé de Meudon, il écrivait dans sa langue avec beaucoup plus de pureté et de finesse que l'auteur de Gar- gantua dans la sienne ; et nous avons des vers de lui d'une élé- gance et d'une naïveté digne d'Horace.

Si on demande quel fut dans notre Europe le premier auteur de ce style bouffon et hardi dans lequel ont écrit Sterne, Swift, et Rabelais, il paraît certain que les premiers qui s'étaient signalés dans cette dangereuse carrière avaient été deux Allemands nés au xv siècle, Reuchlin et Hutten. Ils publièrent les fameuses Lettres des gens obscurs longtemps avant que Rabelais dédiât son Panta- gruel et son. Gargantua au cardinal Odet de Chàtillon.

Ces lettres, rapportées à l'article François Rabelais dans les Questions sur r Encyclopédie ^ , sont écrites dans le latin macaronique, inventé, dit-on, par Merlin Cocaïe pour se venger des domini- cains ; et elles firent par contre-coup un très-grand tort à la cour de Rome, lorsque les fameuses querelles excitées par la vente des indulgences armèrent tant de nations contre cette cour. L'Italie fut étonnée de voir l'Allemagne lui disputer le prix de la plaisan- terie comme celui de la théologie. On y raille des mêmes choses que Rabelais tourna depuis en ridicule ; mais les railleries alle- mandes eurent un effet plus sérieux que la gaieté française : elles disposèrent les esprits à secouer le joug de Rome, et préparèrent cette grande révolution qui a partagé l'Église.

C'est ainsi qu'on a dit que la Satyre Ménippée, composée prin- cipalement par un chanoine- de la Sainte-Chapelle de Paris, ren- dit les états de la Ligue ridicules, et aplanit le chemin du trône à notre adorable Henri IV.

Tristram Shandy ne fera point de révolution ; mais on doit savoir gré au traducteur d'avoir supprimé des bouffonneries un peu grossières qu'on a quelquefois reprochées à l'Angleterre.

Il est peut-être plus difficile de traduire un Gilles qu'un ora- teur, le Dîner de Trimalcion que la Nature des dieux de Cicéron, et Salvator Rose que le Tasse.

1. Voltaire, dans ses Questions sur l'Encyclo2)édie{\oyeztome XIX, page 200), rapportait une partie de la seconde de ses Lettres à S. A. monseigneur le prince de'*' (voyez tome XXVI, page 475), où il parle des EpistolcB obscurornm virorum.

2. Jacques Gillot, qui eut des collaborateurs ; voyez la seconde édition du Dic- tionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes, par A.-A. Barbier, n" 10790.

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